“Une chanson pour ma mère”, l’IHECS et moi
Pour son premier long métrage, qui sortira en salles le 27 mars, l’Ardennais Joël Franka a fait fort.
Outre un scénario loufoque et un casting hors du commun - Dave, Patrick Timsit, Sylvie Testud et Renaud Rutten à l’affiche -, la participation de Benoît Mariage et de Gladys Marciano, «Une chanson pour ma mère» nous offre un moment de cinéma riche en rires et en tendresse.
L'histoire: des membres d’une famille on ne peut plus banale décident d'offrir un cadeau d’adieu extraordinaire à leur maman très gravement malade. Et finissent par kidnapper Dave.
Qu’elle porte sur la star de la pop française à paillette des années 70, le cinéma « vert » ou son ancienne école, Joël Franka n’a éludé aucune de nos questions. Interview.
Comment est née cette passion du cinéma?
Après l’IHECS, j’ai fait beaucoup de stages dans de nombreux médias (radio, télé, et notamment à la RTBF et dans l’équipe de Striptease).
J’ai fait beaucoup de montage, du docu, de la fiction… J’ai fini par me spécialiser dans l’image vidéo et monter ma propre boîte de post-production audio-visuelle, ADN Studio.
En tant que monteur de « Rendez-vous en terre inconnue », j’ai eu la chance de pouvoir raconter des histoires. À un moment donné j’ai eu envie de devenir un peu plus maître de mes personnages, et de fil en aiguille… J’ai fait un court-métrage, il y a quelques années. Et puis il y a eu « Une chanson pour ma mère ».
L’histoire se situe au cœur des Ardennes, à Libramont, où je suis né. Si j’avais planté le film à Paris, ça n’aurait pas été la même chose. Dans un café de Saint-Hubert, quand on me met une table qui colle pas dans le décor, je le vois tout de suite et je dis : c’est pas des tables comme ça chez nous. Je peux le dire parce que c’est mon coin.
C’est comment de travailler avec Dave ?
C’est très chouette, c’est quelqu’un de très agréable. Il a énormément d’humour, de second degré. Et vraiment l’envie de s’amuser.
Comme un gamin. 68 ans.
En quoi vos études à l’IHECS ont-elles joué un rôle dans votre trajectoire de vie ?
L’IHECS est un accélérateur. Comme toutes les études, ça ne sert à rien quand on en fait rien.
La communication et le journalisme, c’est pas comme la chirurgie, le droit ou la dentisterie… on peut y arriver sans avoir fait ces études. Le diplôme n’est pas le plus important. Ce qui compte, ce sont les portes que ça ouvre, les gens que tu rencontres.
Les années passées à l’IHECS m’ont surtout permis de savoir ce que je voulais faire. Ce que j’ai adoré c’est cette possibilité de faire ses propres expériences, de toucher un peu à tout.
Vous ne regrettez pas de ne pas avoir fait d’études de cinéma ?
Je m’étais inscrit à l’IAD et à l’IHECS, et finalement je n’ai pas passé la sélection, j’étais juste en dessous de la limite, pour l’IAD. Et je suis tellement content d’avoir fait l’IHECS finalement !
Ce que j’ai appris de plus important à l’IHECS, c’est raconter des histoires. Ce qui n’aurait sans doute pas été le cas si j’avais fait une école plus technique. Je suis un mec qui fait ce qu’il aime.
Un conseil que vous voudriez adresser aux ihecsiens d’aujourd’hui ?
Expérimentez, essayez toutes les possibilités, touchez à tout !
L’IHECS est un laboratoire dont il faut profiter pour se frotter aux réalités des métiers. Le matériel, les profs, les espaces sont à votre disposition pour jouer à l’apprenti monteur, journaliste, graphiste, photographe !
Les cours-bloc (ateliers médiatiques), par exemple, offrent un cadre parfait pour ces expérimentations. Tous les jours, on pratique, on se jette à l’eau. En presse-info, nous avions la possibilité de réaliser un JT, pendant une ou deux semaines et de nous glisser dans la peau d’un « vrai » chroniqueur, caméraman, journaliste. Ça vaut de l’or…
C’est ça la force de l’IHECS : la possibilité de FAIRE des choses. Comment tu veux apprendre mieux que ça ? Ce n’est pas possible, parce que le métier, c’est ça. Se confronter à la réalité, et découvrir le métier qu’on aime et qu’on veut faire plus tard.
L’IHECS, c’est un peu comme le jeu de société « Qui-est-ce ? », en taille réelle.
On teste les différentes fonctions et métiers de la com’ puis on élimine petit à petit ce qui ne nous correspond pas. Tiens, je ferais bien du graphisme, oh, puis finalement c’est pas trop mon truc, moi ce qui me plaît c’est la photo… Oui, mais du photojournalime ou de la photo publicitaire? Et petit à petit, on découvre ce qui nous passionne et ce pour quoi on est fait. C’est important de savoir ce qu’on veut faire dans la vie.
Que dire du rôle du prof dans une école comme l’IHECS ?
C’est essentiel, c’est capital, c’est énorme. Un mec comme Michel Lecomte, par exemple, a eu une très grande influence sur mon parcours à l’IHECS, et après. Je me souviens également de Pierre Meurisse, un prof fantastique.
Des profs comme ça t’aident à te trouver, à reconnaître ce que tu fais de bon, et te donnent envie de donner le meilleur de toi-même. Ce sont des mecs qui te poussent hors de tes limites, qui te challengent, te guident… Il y en a plein d’autres…
Vos meilleurs souvenirs ?
Pour suivre les cours, faire ses travaux ou la fête, la vie à l’IHECS ne s’arrêtait pour ainsi dire jamais. J’ai été Président du CEICS et c’était vraiment une ambiance incroyable.
Mes potes d’aujourd’hui, ce sont toujours les mêmes. Cédric Wautier, avec qui j’ai fait mes études, est dans le film ! Je travaille avec Laurence Stine, de la même époque…
Je rencontre souvent des gens qui ont fait l’IHECS. Y a un petit truc sympa, c’est comme quelqu’un de la famille, on partage des souvenirs communs.
Ce n’est pas pour autant qu’une journaliste du Soir qui est sortie de l’IHECS ne va pas descendre mon film, attention. Mais il y a quelque chose qui reste, un esprit « IHECS » qui survit.
Je me souvient toujours, je ne sais pas si ça existe encore, de cette « guéguerre » entre sections. Les étudiants de PI, qui critiquaient ceux de PUB, et ceux d'ASCEP qui se moquaient des RP. Mais tout ça avec beaucoup d’humour ! - 'Oui, oui, ça existe toujours!' - Super, c'est très sain, il faut que ça continue, c’est chouette !
« Une chanson pour ma mère » est le premier film qui suit à la lettre les conseils du « Guide éco-cinéma » de Sophie Cornet, votre compagne. Le développement durable, c’est quelque chose qui vous tient à cœur ?
Bien sûr. Chez eux les gens trient leur poubelle. Mais au travail on s’en fout un peu. En réalité, ce qui se passe dans les entreprises a une importance capitale ! Alors, si une usine à béton doit réduire son empreinte écologique, pourquoi pas l’industrie cinématographique ? Si n’importe quelle boîte doit photocopier recto/verso, dans le cinéma aussi on devrait pouvoir faire un effort.
Évidemment, dans le monde du cinéma, où tout doit aller très vite, c’est un gros défi. Quand on tourne un film, chaque détail - même minime - compte. Les rideaux, la couleur de la peinture. Bien sûr, il y a des choses très simples : proposer des menus durables, avec des produits locaux et de saison, faire du covoiturage… On avait des gourdes, et pas de gobelets en plastique. Une voiture électrique, celle du film, que Citroën nous a prêté pour le tournage.
Après, ce n’est pas toujours évident de demander au décorateur qui travaille depuis 20 ans avec du contre-plaqué de réfléchir à d’autres alternatives, de trouver un bois durable ou une colle moins polluante pour ses décors… Mais c’est un moteur pour le changement.
Sophie, ma compagne avait rassemblé dans son guide une série de Conseils pratiques pour des productions audiovisuelles respectueuses de l’environnement pour la Communauté française de Belgique. Nous avons essayé de les respecter le plus possible.
Après le succès des frères Dardenne ou du cinéma de Benoît Mariage, la « Belgitude » est très à la mode en France. Vous a-t-on déjà reproché de « surfer sur la vague du cinéma belge» ?
Je suis belge et je fais des trucs… je vais pas attendre que la Belgique soit plus à la mode pour faire des trucs.
Le cinéma belge est à la mode parce qu’il y a des tas de belges qui sont bourrés de talent…
On me demande « est-ce que votre film c’est du cinéma belge ? », mais moi je ne vois pas trop ce que ça veut dire, le « cinéma belge ». Je ne compare pas le cinéma de Benoît Mariage avec le cinéma de Fabrice ou celui de Joachim Lafosse. C’est trois mecs que j’adore, j’adore leur cinéma. Mais ce que j’ai fait là, c’est encore autre chose. Alors comment mettre tout ça dans une boîte mettre un label dessus ?
La seule chose que je peux dire, c’est que ce sont peut-être des cinémas un peu plus singuliers. Des cinémas dans lesquels il y a peut-être une vision, ou un point de vue un peu plus fort que dans un cinéma plus « lissé ». Peut-être que c’est ça, le point commun entre tous ces réalisateurs belges qui font du cinéma.