Le récit de vie, pour faire du journalisme autrement
Après avoir travaillé pendant plusieurs années au sein des médias traditionnels, Isabelle Seret décide d’abandonner la technique de l’entretien journalistique pour se tourner vers le récit de vie.
Ne se sentant pas en harmonie avec le recueil d’interviews rapidement bouclées au détriment de la relation humaine, elle décide d’aller vers des pratiques qui lui semblent plus respectueuses de l’individu.
« Mon parcours m’a fait découvrir que Le temps des médias n’est pas celui des victimes, nous a-t-elle confié. Le récit de vie permet de faire du journalisme autrement. Il contient une réalité émotive sans pour autant perdre son caractère informatif ».
La particularité du récit de vie est de s’inscrire dans une relation à deux. D’un côté, une personne ayant vécu une histoire, qui peut parfois être traumatique, et de l’autre, le journaliste qui contribue à donner un sens à cette histoire. La rencontre repose sur l’interaction entre ces deux personnes sur base d’un contrat de confiance.
« J’ai la responsabilité de ce que l’interlocuteur a dit, de la part d’intimité qu’il a dévoilée », a-t-elle tenu à préciser.
L’intérêt de cette démarche est qu’à travers l’histoire individuelle, on peut comprendre la situation sociale et l’histoire d’une région ou d’un pays à une époque précise.
Formée en victimologie, Isabelle Seret utilise également la méthodologie de la sociologie clinique. Elle s’intéresse à la manière dont le sujet social se construit. Les bases de la sociologie clinique lui permettent de développer une sensibilité à la parole des individus et surtout la conviction que les groupes concernés vont contribuer à produire activement de la connaissance. La personne est vue comme le produit d’une histoire dont elle cherche à devenir le sujet.
Cet intérêt pour l’humain a conduit Isabelle à mener divers projets, notamment dans les camps de réfugiés palestiniens, mais aussi en Arménie, au Liban et au Burundi.
Dans ces pays, elle a eu l’occasion de rencontrer des personnes victimes de guerre. C’est de cette expérience qu’elle a pu retirer des témoignages très poignants.
Elle s’est également intéressée aux violences faites aux femmes, notamment dans des contextes de conflit. Récemment, la journaliste belge a collaboré avec l’Institut Panos Paris. Cette ONG, qui a pour objectif de soutenir les processus de paix et de réconciliation entre pays en guerres, favorise la mise en réseaux des acteurs médiatiques et encourage les dialogues transfrontaliers.
Dans ce cadre, Isabelle Seret a animé à Bukavu (Sud-Kivu) un atelier qui réunissait 9 femmes journalistes originaires du Rwanda, du Burundi et de la République démocratique du Congo pour élaborer ensemble une campagne médiatique contre la violence faite aux femmes sur base du récit de vie.
Ce partenariat a donné lieu à la publication de l’ouvrage 'Sortir de l’ombre - Le témoignage oral, une victoire morale', téléchargeable sur le site de Panos Paris.
Cette publication raconte ces moments d’écoute. Elle nous précise également par quelle approche méthodologique les journalistes sont arrivées à ce résultat, sans faire l’impasse sur les multiples questionnements qui les ont tiraillées tout au long de cet exercice introspectif.
Cette riche et émouvante rencontre avec Isabelle Seret s’est terminée sur une phrase que chacun d’entre nous a encore en mémoire: «Il vaut mieux un journaliste qui rentre bredouille qu’une personne laissée blessée par une interview».
Un article collectif signé Aurélie Dechamps, Caroline Meyer, Amélie Deconninck, Magdalena Kolaj, Olivia Dawans, Caroline Franki, Marie Bynens, Louise Dumont, Emma Vigand et Typhaine Wouters.
Crédit photos: Robin Hammond (Panos Pictures) et Magdalena KOLAJ