J'ai lu... “Senne/Zenne”, de Laurent Poma et Pierre Tondeur
Après plusieurs expositions personnelles et collectives à Bruxelles, Paris, Athènes et Vienne, Laurent Poma, gradué en photographie de l’école supérieure artistique « le 75», fondateur du collectif « Ici et Maintenant », a réalisé de nombreux reportages photo à New York, Hong Kong. Son expérience en tant que photographe indépendant se nourrit également de nombreux projets réalisés dans l’univers plus sérieux du « corporate », dont l'album des 25 ans de la société EVCA (European Private Equity & Venture Capital Association). Il réalise également certains projets photo bénévols pour la Croix-Rouge.
Laurent Poma a rejoint l’équipe des assistants photo de l'IHECS en septembre 2010. Nous l'avons interviewé sur son ouvrage « Senne/Zenne », recueil de photographies réalisé avec le photographe Pierre Tondeur, paru le mois dernier au édition 180°.
Pourquoi la Senne?
Laurent Poma: “C’est d’abord un hasard, une rencontre survenue lors d’une promenade le long du canal de Ruysbroek. Je me suis aperçu que je connaissais très peu cette rivière, qui fait pourtant partie de notre patrimoine. On apprend son nom à l’école, et puis elle est comme oubliée, passée sous silence. De là est né un désir, assez égoïste, de la redécouvrir.
Sur Mappy et Google Earth j’ai localisé son parcours avant de partir, armé de mon appareil, à la découverte des méandres de ce cours d’eau “fantôme”. Ce travail d’investigation, au départ très personnel, m’a conduit à travers des régions dont le nom seulement me disait quelque chose.
Avec Pierre Tondeur, que j'ai rencontré lors de mes études au 75 et qui est depuis devenu un ami, nous avons multiplié les explorations autour de cette rivière, un peu dans la veine des “urbex”, démarche qui consiste à documenter des zones urbaines abandonnées ou désuètes.
C'était, il y a cinq ans déjà. Cette sélection offre un aperçu de ces investigation.”
Tes images nous montrent différents visages de la Senne. Le lecteur est confronté à des paysages industriels, puis à des coins de verdure pour se retrouver enfin sur un sentier désolé.
L.P.: 'Nous avons voulu traiter de manière égale les endroits sur lesquels on tombait, les plus préservés comme ceux qui servaient de dépotoir, de chancre.
Le livre propose une sélection d’instantanés, une série d’évènements, ou plutôt non-évènements, le long de la Senne. Aucun des lieux photographiés n’est identifié: il ne s’agit pas d’un guide de parcours touristique, mais plutôt d’un travail documentaire. Nous avons chercher à cerner cette rivière, à révéler son parcours en montrant certains coins dont seuls certains riverains ont connaissance. Certaines images montrent, il est vrai, une réalité plutôt amère.
Si l’on y trouve sa trace, l’humain, lui est absent du cadre.
L.P.: “Non, on en voit un (Laurent esquisse un sourire; nous feuilletons le livre à la recherche de la silhouette que j’aperçois en effet, en arrière-plan d’une image). Et bien… On en a pas tellement croisés… J’ai fait quelques portraits, mais ils ne s’intégraient pas vraiment dans le projet final. L’objectif était de décrire une réalité, sans trop d’artifices ou de montages.
Souvent, nous étions seuls le long des berges, qui par endroits, sont totalement dévastées. Le constat est là. D’où la citation du chef indien sur le dos de l’ouvrage...
“… vous devrez vous souvenir que le fleuves sont nos frères et les vôtres,
et l’enseigner à vos enfants,
et vous devrez dorénavant leur témoigner la même bonté
que vous auriez pour un frère…”
Extrait du discours prononcé en 1854
par le grand chef Seattle devant le gouverneur Isaac Stevens
Une manière d'interpeller le public sur la problématique environnementale?
L.P.: 'À la base, notre intention n’était pas de faire un manifeste écologique, même si au final, de façon presque « naturelle », les images conduisent à une réflexion de cet ordre, un questionnement sur les comportements humain vis-à-vis de l'eau, et par extension, de la nature. Ceci dit, je suis heureux que certaines volontés politiques se mobilisent pour réhabiliter la Senne. Je crains malgré tout que la question dépasse le cadre d'un mandat électoral.
C’est dommage, car la présence d’un cours d’eau dans une ville, c’est important.
Londres a sa Tamise, Paris la Seine, Rome se baigne le long du Tibre. On descend au bord de l’eau, des choses se passent. Bien sûr, nous avons le canal, mais il est bien triste, notre canal, et puis on ne peut pas s’en approcher.
Vers 1860, ce cours d’eau a été canalisé et recouvert et a perdu sa fonction commerciale, empreinte de noblesse, pour recueillir les eaux usagées. L’image est très claire. De la voie des richesses aux égouts.
Les raison étaient très valables à l’époque. Mais aujourd’hui? Quelle fonction réservons-nous à la Senne? Quel rôle joue ce cours d’eau dans la ville de Bruxelles et dans les régions qu’il traverse?