J'ai lu... 'Le symptôme AVATAR', de Frank Pierobon
Tout le monde a vu ou entendu parler du film de James Cameron, Avatar. Ce phénomène de société récent, adossé à un succès commercial d’une ampleur sans précédent, peut être interprété comme ce symptôme dont Frank Pierobon tente le diagnostic ; il s’agit bien d’un symptôme, en effet, dans la mesure où l’industrie cinématographique tente de coller le plus possible aux attentes de son public, pour des raisons de retours sur investissements, et où les techniques sophistiquées mises en œuvre dans ce but (écriture collégiale par une équipe de scénaristes, focus groups sur le web, test screenings) rendent caduque l’interprétation romantique de l’œuvre comme ce qu’exprimerait la sensibilité personnelle d’un artiste particulier.
Dans son analyse, Frank Pierobon utilise des outils philosophiques particulièrement sophistiqués pour évaluer la critique apparemment sévère que ce film adresse à la Modernité technoscientifique, dont il fait lui-même partie et pour déconstruire la belle image d’un monde de bons sauvages à la Rousseau, dont la caractéristique régressive est le fusionnel.
Il utilise, pour ce faire, un opérateur logique emprunté à Jacques Lacan, le « pas-tout » et emprunte à la phénoménologie divers outils pour rendre compte de l’impact des technologies d’avant-garde (performance capture et 3-D) sur la vision du spectateur. Ce faisant, l’auteur montre comment la sophistication ainsi atteinte permet de proposer le fantasme comme alternative valable à un réel forcément dévalué.
C’est ainsi que Frank Pierobon peut arriver à cette étonnante conclusion, selon laquelle le succès exceptionnel d’Avatar pourrait bien être dû au fait que le film tend un miroir magique aux spectateurs où ceux-ci se voient idéalement rassemblés au sein d’une communauté fusionnelle et régressive, sans prendre conscience qu’ils ne forment rien d’autre qu’un public de cinéma, par définition invisible et plongé dans le noir.
Quant à l’intrigue dont la presse a épinglé le formatage particulièrement rudimentaire, l’auteur propose des rapprochements saisissants entre l’hégémonie croissante des intrigues policières dans l’audiovisuel de masse (la télévision), le fonctionnement propre au jeu vidéo (dont Avatar est profondément tributaire) et le désenchantement wébérien de notre société, à savoir sa perte quasi totale de toute ouverture sur l’Autre et le transcendant. L’intrigue d’Avatar, conclut-il, est une méta-intrigue qui procède par transgressions réitérées au départ d’un canevas basique de lutte au finish.
Enfin, dans cet ouvrage dont la verve est souvent espiègle, Frank Pierobon en arrive à la conclusion étonnante selon laquelle Avatar peut être perçu comme une liturgie mystique de désincarnation, c’est-à-dire comme l’antithèse de l’incarnation christique. La fantasmagorie audiovisuelle se métamorphoserait par là en idéal transcendantal, et la transe du spectateur, en l’équivalent postmoderne d’une méditation, voire même d’une prière. Quand le spectacle de cinéma réussit, il produit largement cette hallucination fervente qui permet de participer pleinement de la substance du rêve comme s’il n’y avait rien de mieux à espérer de la vie.
L'auteur
Frank Pierobon est philosophe ; il vit en Belgique et enseigne la philosophie à l’Institut des Hautes Etudes en Communication Sociale (I.H.E.C.S, Bruxelles). Ses intérêts le portent, entre autres choses, vers le théâtre, auquel il a consacré deux ouvrages, L’humanité tragique (Cerf, 2008) sur le rôle de l’écriture dans l’émergence du théâtre antique et Salomé ou la tragédie du regard (Différence, 2009) sur le rapport d’Oscar Wilde à la théâtralité et à la langue française. En outre, il a donné des pièces de théâtre, dont Immer leiser, à laquelle l’Académie Royale de langue et de littérature française de Belgique, a décerné son prix George Vaxelaire 2009.
'Le symptôme AVATAR', de Frank Pierobon?, Editions J. Vrin, collection Cinéma et philosophie 120 pages, avril 2012??
Disponible chez Tropismes, Filigranes, etc.