"Je me suis inscrit dans une école qui n'existait pas"

03.03.2016
Ce sont les mots de Jean Perini, l'un des premiers étudiants de l'IHECS, inscrit en 1958.

Bonjour Monsieur Perini, vous êtes notre 1er alumnus, notre 1er ancien. Alors, permettez-moi de vous poser directement LA question : pourquoi avoir choisi, il y a 58 ans, l’IHECS ?

C’est assez amusant, j’ai fait des humanités dans la région liégeoise et au cours de ces humanités, j’étais comment dire, « pas bon à rien, mais mauvais à tout » comme disait Pagnol. Et pourtant mon rêve était de faire de la publicité et de la radio, j’en suis toujours passionné d’ailleurs…

Vous savez, j’étais vraiment très mauvais et mes pauvres parents sont allés voir le directeur du collège en disant « mais qu’est-ce qu’on peut en faire », tout le monde était désespéré ! Le directeur du collège a sorti un petit dépliant qui annonçait « École temporaire d’assistants à l’information », c’était en fait une section de Saint-Luc Tournai. Je suis allé, avec mon père, à Saint-Luc et j’ai rencontré le père Rossion. C’est comme cela que tout a commencé.

Quelle réputation avait Saint-Luc dans les années 50 ?

À l’époque, Saint-Luc était une excellente école et c’est toujours le cas maintenant et l’une des plus réputées dans l’architecture.

Je me suis inscrit dans une école qui n’existait pas dans laquelle personne n’était encore élève. C’était en 1958.

Nous étions 13 en 1ère année dans des locaux d’une annexe de Saint-Luc, des locaux préhistoriques équipés d’un matériel inexistant ; un nagra, un petit enregistreur portable était le seul outil dont nous disposions.

Par contre, ça fait également partie du caractère folklorique de l’école, nous avions un corps professoral exceptionnel, les meilleurs dans leurs domaines, avec une petite réserve cependant à cause de leurs absences. Vous savez, ils ne venaient pas souvent parce qu’ils avaient des activités professionnelles envahissantes, mais nous avions malgré tout un petit noyau de professeurs présents dont Robert Delieu en radio et des personnages assez exceptionnels comme Darms qui nous donnait un cours de doxaguogie, nous ne savions pas vraiment ce qu’était la doxaguogie mais cela était passionnant au demeurant.  C’était un petit noyau de professeurs passionnants et à côté de cela des professeurs assez brillants, mais occupés.

Décrivez-moi l’ambiance d’une école de 13 étudiants ?

Et bien c’est très intéressant que vous me posiez cette question. Le père Rossion avait une optique de l’école controversée, car pour lui l’objectif de l’école n’était pas de former des techniciens, mais de former des jeunes gens ouverts au concept de la communication avec ses différents supports existants, ça allait de la communication sociale à la production radiophonique en passant par la publicité.

Au long de ces 2 années, c’est devenu de plus en plus conflictuel entre Rossion et les étudiants, à tel point qu’un jour, en 2ème année, nous avons fait grève parce que nous étions de plus en plus convaincus qu’à la fin de nos études, nous serions comme je l’ai précédemment dit « bons à rien, mais mauvais en tout » , que nous n’aurions pas une formation spécifique et pratique.

Finalement, le père Rossion a fait un peu évoluer les choses, mais très doucement et très péniblement. Nous nous sommes battus pour avoir un enseignement pratique.

Je me souviens du jour où, en rentrant chez moi, mes parents m’ont interpellé « mais que viens-tu faire ici » et moi de leur répondre « je rentre parce que je suis en grève », je vous assure que ça n’a pas été apprécié à l’époque.

L’un de vos meilleurs souvenirs de ce qui deviendra quelques années plus tard l’IHECS ?  

Delieu en radio, c’est avec lui que nous avions créé la 1ère association des élèves et que nous avions organisé un bal des élèves, la 2ème année à Tournai. C’était folklorique peu de matériel …c’était le début de l’IHECS.

Est-ce que l'école telle que vous me l’avez décrite a répondu à vos rêves de rhétoricien et vos ambitions de travailler dans la radio ?

C’est une bonne question parce qu’en fait, je venais à l’IHECS pour la pub, c’était annoncé dans le programme et pourtant je n’ai quasiment pas eu de cours de pub.

Nous avions un professeur de publicité qui venait de Charleroi et qui était le patron des timbres Valois, il nous a donné une brève introduction de publicité. J’étais frustré de ne pas avoir ce que j’étais venu chercher alors qu’en radio ou en relations publiques par exemple c’était quand même plus riche. En publicité radiophonique,  nous avions comme professeur, Jean Louis Pro, le patron de la régie RTL à Bruxelles.

Puisque je n’ai pas eu ce que j’étais venu chercher, je suis devenu chargé de cours à l’IHECS !

Vous avez pris l’expression « on n’est jamais mieux servi que par soi-même » au pied de la lettre, racontez-moi votre retour en tant que professeur ?

En sortant de l’IHECS, j’ai trouvé directement un job dans une agence de pub, un de mes condisciples avait donné son accord dans deux agences, il m’a donc proposé de prendre la place restante, on est bien loin de cela aujourd’hui dans l’univers de la pub n’est-ce pas !

Et donc j’ai travaillé 2 ans à Lille, OPG était une filiale d’une agence à Paris, où j’ai pu travailler sur une campagne collective, une campagne en faveur des producteurs de petits pois ! 

Un slogan dont on se souvient encore « on a toujours besoin de petits pois chez soi » diffusé à grande échelle, je vous assure, un chef-d'œuvre dans son genre ! 

Comme je n’avais pas présenté mon mémoire et je me suis venu présenter cette campagne de petits pois dans les nouveaux locaux de Foyenne, un bâtiment assez sinistre dans lequel De Gaule a fait ses études primaires. Je me vois attendre pendant une heure après avoir présenté ce mémoire et personne ne venait me chercher et puis finalement Rossion m’a demandé d’entrer, il m’a présenté au jury et m’a proposé de devenir chargé de cours.

J’ai donc donné cours dans ce qui était devenu l’IHECS pendant 4 ans et puis, puisqu’il parait que l’intelligence consiste à ne faire qu’une fois les mêmes bêtises, j’en ai fait une grosse ; j’ai abandonné les cours. À ce moment-là, j’ai créé un magazine et ça me prenait un temps fou et je n’arrivais plus à conjuguer toutes mes activités.

Je me suis concentré sur mes responsabilités en agence de publicité, je suis revenu sur Bruxelles et j’ai eu la chance de participer au développement de la division belge de l’agence Impact FCB (Foote, Cone & Belding) qui est l’une des plus grosses agences françaises et maintenant le premier groupe au niveau mondial (groupe Publicis).

Vous me parliez d’un magazine que vous avez créé, revenons là-dessus et dites-m’en plus à son sujet.

Après les cours à l’IHECS, j’ai créé un magazine qui s’appelait "Impact" et qui était le 1er magazine professionnel de la pub qui avait comme caractéristique d’être à la fois très esthétique dans sa présentation et assez incisif au niveau rédactionnel. Ce qui m’a valu d’avoir beaucoup d’amis, mais également beaucoup d’ennemis dans cette profession et ce d’autant plus que l’agence IMPACT dont j’étais le n° 2 prenait une extension hyper rapide.

Etant parti de rien, j’y suis resté pendant 15 ans avec des budgets fantastiques comme Douwe Egberts, Gervais- Danone, la Sabena, la BBL etc.…

Donc si je comprends bien vous étiez venu à l’IHECS pour la publicité, cours que vous n’avez pas eu et pourtant vous avez fait toute votre carrière dans la publicité et vous avez enseigné cette matière. C’est un parcours pour le moins surprenant ?!

Oui en effet j’ai fait toute ma carrière dans la publicité, car après avoir développé ce magazine professionnel, je l’ai revendu et c’est à ce moment-là que je suis retourné dans la pub au début d’Impact, une petite agence à Bruxelles et j’y suis restée 15 ans avant de quitter tout cela.

Et j’ai vu que vous êtes actuellement rédacteur en chef d’un supplément du Soir « Passion des montres » parlez-moi de cette nouvelle aventure ?

C’est une autre aventure ! Parmi mes nombreux fils, j’en ai deux qui sont jumeaux et ils ont fait des études de marketing et souhaitaient ouvrir une agence. J’ai créé une agence avec eux et l’un des deux est vite parti, l’autre est resté avec moi et voulait faire de l’ « event ».

Un jour, l’association des horlogers/bijoutiers belges est venue nous trouver en disant qu’ils souhaitaient organiser un grand évènement pour marquer la Saint-Elois, la fête des horlogers, mais ils n’avaient pas beaucoup de budget. Je les ai aidés et c’est comme cela que je suis entré dans le monde des montres, il y a 30 ans.

J’ai développé des magazines il y a un peu plus de 10 ans qui parlaient d’horlogerie. Le Soir m’a alors proposé de faire un supplément traitant de montres et d’horlogerie, deux fois par an.

En plus de cela, nous avons créé les « journées de la passion » et nous avons eu un grand succès au Grand-Duché du Luxembourg. Nous avons accueilli près de 7000 visiteurs l’année passée au Cercle de Lorraine !

L’Ihecs, une histoire de famille ?

Mon petit-fils vient de s’inscrire et j’ai une petite fille qui termine un Master à Maastricht et qui souhaiterait s’inscrire à l’IHECS l’année prochaine donc on y revient !

Avez-vous eu l’occasion de visiter l’IHECS à Bruxelles ?

Juste une fois. Nous étions 6 au 7 de cette époque à nous retrouver chaque année. Nous avons été invités par le directeur de l’époque.

Si vous aviez un conseil à donner aux étudiants?

Pour moi dans cet univers de la communication, l’élément essentiel est la passion. Il faut être passionné. J’ai la chance d’avoir transmis la passion (des montres) à mes fils.

Il faut de la passion, mais également du talent, car c’est un univers qui devient de plus en plus exigeant. C’est le cas dans la presse, mais si un journaliste qui écrit bien et est passionné, je suis convaincu qu’il trouvera du travail.

Avez-vous rencontré beaucoup d’IHECSiens dans votre carrière professionnelle ?

Oh non pas beaucoup, en tout cas pas dans la pub mais c’est peut-être parce que c’est moi qui ai donné cours !

Une interview réalisée par Gaëlle Abrighach, chargée des relations publiques IHECS Alumni