Retour sur le colloque "Industries créatives et événements : moteur économique et social ?"
Bruxelles veut se «Montréaliser»
Au Canada, la ville de Montréal aréussi à faire de la culture un modèle de réussite économique. Inspirante, sa vision audacieuse des industries créatives nourrit aujourd’hui les ambitions de Bruxelles qui veut professionnaliser le secteur de l’événementiel pour étendre son rayonnement.
Mode, musique, théâtre, danse, design, cinéma, etc. Le concept des industries créatives englobe toute une série de disciplines culturelles dont la matière première est l’imaginaire. Souvent réunies sous la bannière réductrice des arts du spectacle et de la scène, ces différentes activités fleurissent également à travers des événements qui prennent place tantôt dans les lieux publics, tantôt dans la sphère privée des entreprises ou des particuliers. Singulières, les industries créatives représentent surtout une véritable sphère économique qui génère de l’emploi et rejaillit sur le secteur horeca.
L’exemple montréalais
Au Canada, la ville de Montréal a fait des industries créatives le fer de lance de sa croissance économique depuis de nombreuses années déjà. La naissance du mythique Cirque du Soleil en 1984, suivie de l’implantation progressive de son Quartier des spectacles dans les années 2000, a donné à la ville un rayonnement considérable et finalement démontré que l’événementiel pouvait être aussi, au fil du temps, un modèle de réussite nationale et internationale.
«Montréal est aujourd’hui la première ville d’accueil d’événements internationaux sur l’ensemble du continent américain, révèle Denis Coderre qui fut maire de la ville canadienne de 2013 à 2017. L’année dernière, Montréal a orchestré près de 150 événements de dimension internationale sur son territoire alors que Washington et New York – qui sont sur les deuxième et troisième marche du podium – n’en ont respectivement organisé que 62 et 57. Montréal est devenue une vraie métropole événementielle et nous avons fini par démontrer que la culture est aussi une industrie qui représente aujourd’hui 6% du PIB au Québec. La culture ne doit pas être perçue – c’est malheureusement souvent le cas – comme un poste de dépenses pour la ville, mais bien comme un investissement. Au même titre, l’événementiel doit aussi être considéré comme un vecteur de développement économique et de changement social.»
Penser global, agir local
Récemment de passage en Belgique pour un colloque dédié aux industries créatives à l’Institut des hautes études des communications sociales (IHECS), Denis Coddere y a retrouvé Philippe Close, le bourgmestre de la Ville de Bruxelles, qu’il avait lui-même accueilli à Montréal dans le cadre d’une mission économique il y a tout juste un an. Les deux métropoles sont aujourd’hui très proches et l’homme politique bruxellois ne cache d’ailleurs pas sa fascination pour le modèle montréalais.
Denis Coderre, Maire sortant de Québec et Philippe Close, Bourgmestre de la ville de Bruxelles |
«Ma priorité, c’est de donner ‘une envie de Bruxelles’, rappelle Philippe Close. Nous vivons dans la ville plus cosmopolite au monde après Dubaï avec 184 nationalités différentes, et notre capitale a une véritable dimension internationale avec la soixantaine de sommets organisés chaque année par les institutions européennes et l’Otan. Mais Bruxelles ne doit pas choisir entre son rôle international et sa mission de proximité. Les deux facettes sont importantes et nous devons donc créer une animation urbaine permanente, à l’instar de Montréal qui a démontré que les industries créatives et l’événementiel peuvent être un réel moteur économique et social pour la ville.»
Un secteur qui s’est structuré
Le bourgmestre de Bruxelles n’a toutefois pas attendu son voyage l’année dernière à Montréal pour se rendre compte du potentiel des industries créatives. Déjà nommé échevin du Tourisme en 2006, Philippe Close a en effet subi un électrochoc dans les mois qui ont suivi son élection lorsque la capitale belge a remporté le titre peu enviable de «ville la plus ennuyeuse du continent européen» dans l’enquête internationale menée par le site américain TripAdvisor. Piqué au vif, il avait alors déployé à l’époque un plan d’attaque visant à transformer, dit-il, le boring (l’ennuyeux) en making (les activités). Le bourgmestre avait ensuite intensifié les rassemblements festifs dans sa ville comme Bruxelles-les-Bains, Plaisirs d’Hiver ou encore le Brussels Summer Festival (BSF). «Nous avons encore beaucoup de choses à apprendre et à développer par rapport à Montréal, confesse-t-il aujourd’hui, mais je pense que nous sommes sur la bonne voie.»
«La culture ne doit pas être perçue comme un poste de dépenses pour la ville, mais bien comme un investissement.» Denis Coderre, ancien maire de Montréal
Un master inédit
Pour passer la vitesse supérieure et tendre vers le modèle montréalais, Bruxelles a en effet besoin d’une professionnalisation grandissante du secteur. L’organisation d’événements est en effet devenue un mode de communication à part entière et rien ne peut donc plus être laissé au hasard. «Il y a 30 ans, l’événementiel n’existait tout simplement pas en Belgique, rappelle Frank Anthierens, directeur de l’agence DDMC spécialisée dans les événements d’entreprises. Les premières agences spécialisées sont apparues à la fin des années 1980 et, depuis, le marketing événementiel s’est affiné et les briefings de clients sont devenus de plus en plus précis. Désormais, il faut maîtriser tous les aspects de la communication, y compris l’évolution des techniques du spectacle et du divertissement, mais aussi dompter d’autres paramètres comme le management, le droit ou la comptabilité. Il est plus que nécessaire de former aujourd’hui de véritables professionnels dans l’événementiel pour booster le secteur.»
Le développement et la pérennisation de l’activité événementielle à Bruxelles dépendent en effet d’une certaine professionnalisation et c’est précisément pour répondre aux attentes du secteur que le directeur Olivier Mees du bureau Brussels Major Events (BME) – l’opérateur événementiel public de la Ville de Bruxelles – a initié le lancement d’un programme de formation spécifique en collaboration avec l’Ihecs et l’ULB.
Aujourd’hui, l’Ihecs forme en son sein une nouvelle génération de décideurs dans le cadre d’un master inédit en management d’événements qui a été inauguré en septembre 2017. Créativité, financement, gestion du risque, ressources humaines, logistique, sécurité, etc.: tous les paramètres inhérents à l’organisation d’événements y sont enseignés sur une période de deux ans.
Toujours en formation, les premiers diplômés de ce nouveau master se retrouveront donc sur le marché de l’emploi en juin prochain avec un profil particulièrement adapté au secteur événementiel. Mais d’ores et déjà, les responsables de section nouent des liens privilégiés avec plusieurs organisations professionnelles comme l’Events Managers Association (EMA), l’Union belge des Annonceurs (UBA), l’Association of Communication Companies (ACC) ou encore Brussels Major Events (BME).
«Les industries créatives et l’événementiel peuvent être un réel moteur économique et social pour la ville.» Philippe Close, bourgmestre de Bruxelles
Cultiver la fierté
En misant sur la professionnalisation du secteur et sur une nouvelle génération de managers spécialisés dans l’événementiel, la Ville de Bruxelles se met dans les pas de Montréal et rappelle qu’il est urgent de décloisonner, plus que jamais, la culture et l’économie. La capitale de l’Europe peut-elle pour autant prétendre à un statut comparable? «Le développement touristique de Bruxelles a commencé il y a une petite vingtaine d’années, rappelle Olivier Mees. Nous sommes en pleine phase d’adolescence et il est vrai qu’on n’y trouve pas beaucoup de professionnels de l’événement qui ont en plus la spécificité de l’espace public. Bruxelles est une ville qui est en pleine mutation et il serait injuste de la comparer à Montréal car nous ne sommes pas encore dans la même catégorie. A Montréal, les opérateurs événementiels, les entrepreneurs et autres techniciens se comptent en milliers de personnes. A Bruxelles, on parle plutôt en centaines. C’est pourquoi nous sommes vraiment demandeurs, par rapport aux objectifs de la Ville et de la Région, de faire du tourisme un produit économique, de nous développer à travers l’événementiel et d’augmenter le nombre de professionnels dans le secteur.»
Scénographe mondialement connu, le Belge Luc Petit a travaillé des deux côtés de l’Atlantique et notamment à Montréal où il a eu l’honneur d’orchestrer la cérémonie d’inauguration de la Place des Festivals, dans le célèbre Quartier des spectacles: «Je connais bien Montréal et le projet qui s’est mis en place, témoigne le directeur de Luc Petit Création dont le siège est installé à Schaerbeek. Les Montréalais sont de très bons vendeurs. Ils ont à la fois ce côté américain et ce côté francophone qui les rend sympathiques. Mais ils ont surtout une certaine fierté et c’est une grande force qui manque aux Belges pour se développer davantage sur le terrain du spectacle et de l’événementiel. Les Bruxellois doivent aussi travailler là-dessus.»
De gauche à droite : Olivier Mees, Pierre Hermant, Frank Anthierens, Luc Petit, Delphine Baise, Orphée Cataldo, Patrick Vandoorne et Frédéric Brébant. |
Des initiatives inspirantes
Au-delà de cette «nouvelle fierté» à acquérir d’urgence et d’une professionnalisation nécessaire du secteur, c’est aussi la connexion entre les différents acteurs de l’événementiel qu’il est fondamental d’établir pour créer une certaine émulsion. A Mons, le Salon Culturallia dédié aux industries culturelles et créatives a justement permis aux professionnels du secteur de se rencontrer il y a deux semaines à peine dans une espèce de speed dating version business (lire aussi l’article en pages 56 et 57). Une manifestation B to B similaire pourrait être facilement organisée à Bruxelles pour relier les prestataires de services qui s’ignorent et pour doper dès lors l’activité événementielle dans la Région.
Une autre initiative à retenir a émergé cette fois chez nos voisins luxembourgeois. Là-bas, un nouveau magazine dédié aux industries créatives est sorti de presse le mois dernier. Baptisé Dododo (comme une injonction à «faire, faire, faire»), cette bible de 140 pages présente les 300 entreprises et indépendants membres du Luxembourg Creative Industries Cluster à travers leurs meilleures réalisations de ces 12 derniers mois. Des compagnies de danse aux pro ducteurs de films, en passant par les architectes et les designers, l’ensemble du secteur culturel et événementiel est repris dans Dododo, histoire de répondre aux même questions très simples que se posent souvent ses acteurs: comment se faire connaître? Comment multiplier les collaborations? Comment booster, au final, un secteur qui souhaite davantage de professionnalisation? Nul doute que cette démarche éditoriale inspirera une Ville de Bruxelles désireuse de «Montréaliser» ses rêves...
FRÉDÉRIC BRÉBANT
Source : Trends Tendances