Pierre Mory, un pilier de l’histoire de notre institution, a tiré sa révérence
Pierre aura été un de ces acteurs importants de l’histoire de notre institution. Le premier directeur des études, le premier à lancer la recherche au sein de notre institution. Un professeur au sens noble du terme.
L’IHECS doit beaucoup en effet à cet homme de convictions qui avait le sens de l’humain et du service au public et qui ne laissait que de bons souvenirs pour toutes celles et tous ceux qui l’ont côtoyé avec à chaque fois un petit goût de trop peu. Son sens de l’écoute, sa passion pour les autres, le terroir, l’histoire de sa région, de Tournai à Brunehault en passant par son village natal Hollain, l’histoire des « petites gens », transparaissait dans toutes ses actions tout au long de sa vie. Beaucoup d’entre nous éprouvent de la tristesse aujourd’hui tout en se remémorant des souvenirs agréables, de convivialité voire de fraternité.
C’était l’époque des discussions politiques, des revendications institutionnelles, de la KFet – lieu d’échanges entre profs et avec les étudiants –, des bières brunes qui sentaient le régional. Aujourd’hui, plusieurs journaux et chaînes de télévision lui ont rendu l’hommage qu’il méritait.
Marc Sinnaeve, ancien Président du Master en Presse et Information, qui a bien connu Pierre a tenu à nous rappeler ce qu’a été Pierre Mory pour l’IHECS.
La Direction de l’IHECS et toute la communauté de notre institution qu’il chérissait tant présentent à Colette, son épouse, à ses filles Anne et Agnès ainsi qu’à toute la famille leurs plus sincères condoléances.
Pierre Mory, de la terre au territoire, des terreaux aux terrains
Pierre Mory a été de ceux qui ont forgé l'ADN de l'IHECS, en particulier l'ancrage existentiel de l'école dans le local, dans la vie quotidienne (d'abord dans le Tournaisis), mais aussi dans les réalités successives des époques que l'institut a traversées : lieux et moments que les populations habitent, vivent et travaillent autant qu'ils n'y habitent, n'y vivent et n'y travaillent.
Pierre y a été plus qu'attentif et clairvoyant à l'égard, à la fois, des mutations et des permanences du temps présent. Il a été, chez lui, dans sa région, mais aussi plus largement, un animateur engagé et fécond de la vie sociale, culturelle, politique et académique. Il a entretenu, durant toute sa vie, une passion active pour l'histoire sociale de la Wallonie, pour les métiers et les savoir-faire artisanaux du Tournaisis, mais aussi pour l'histoire et la géographie locales, pour les traditions folkloriques, pour la ruralité où il puisait ses origines et son rapport au monde.
Dans sa vie académique, à l'IHECS, il s'est dédié avec la même ferveur discrète et le même sens de la transmission, à la formation de générations d'étudiants. Pour leur enseigner des matières, des contenus, certes, mais aussi, et plus fondamentalement, toute l'importance de la responsabilité sociale et de la distance critique à mettre en œuvre dans leur activité professionnelle comme dans leur existence : se questionner soi et le monde environnant, leur position au sein de celui-ci, les forces qui y jouent...
Comme professeur, il a été particulièrement actif, à cet égard, dans les premières années d'enseignement, ainsi que dans les sections Éducation permanente et Presse et Information. Il a assuré la présidence de cette dernière, à Mons et à Bruxelles, jusqu'à sa retraite en 1998. Du local au transnational, il a réalisé, avec son collègue chercheur britannique Hugh Stephenson, une enquête pionnière sur la formation des journalistes en Europe qui fait référence : La formation au journalisme en Europe, éditions CFPJ, 1991.
C'est d'ailleurs au départ d'une initiative du département (DG) 'Affaires sociales' de la Commission européenne, en 1994, qu'ont été institués, à l'IHECS, à sa demande, deux cours d'information sociale destinés aux étudiants en journalisme. Pareille offre en matière de journalisme social demeure, aujourd'hui encore, une singularité ihecsienne dans le paysage des formations au journalisme.
Pierre a pris en charge, dès 1995, le cours d'histoire sociale de la Belgique industrielle, et il m'a confié le cours "Les oubliés de l'information", consacré à la médiatisation de la question sociale contemporaine. Car il avait conscience de l'importance "stratégique" et, plus encore, démocratique d'une telle formation dans la mesure où, notait-il avec son compère Stephenson, "de la qualité de chaque journaliste dépend non seulement le statut de toute la profession, mais aussi la possibilité de combler le fossé qui sépare ce que la société attend de la presse et ce que la presse lui offre aujourd'hui".
Faute d'avoir pris (ou pu prendre) la mesure de cet "avertissement" visionnaire, la presse, les médias et le journalisme ont laissé le fossé s'agrandir...
Sociologue et Docteur en droit de l'UCL, Pierre Mory était aussi, et avant tout, un homme droit qui avait l'amour de la justice chevillé au cœur et la lutte contre les injustices au corps. Membre du Mouvement ouvrier chrétien, il s'est dressé contre l'injuste partout où il a été. Y compris entre les murs de l'IHECS où sa voix de stentor les a parfois fait trembler à la faveur d'une confrontation ou l'autre...
Que l'on ne s'y trompe pas, toutefois, Pierre était un être d'une douceur, d'une tendresse et d'une prévenance pour les autres parmi les plus rares qu'il m'a été donné de rencontrer. Lorsqu'il a cédé le témoin de la présidence de "Presse-Info" au (relativement) jeune (ex-)journaliste que j'étais alors, en 1998, il l'a fait au terme de trois années de préparation pour moi. Trois ans au cours desquels il m'a confié les rênes de la section et offert une totale autonomie, tout en me faisant bénéficier de son expérience et de ses conseils lorsque je venais à les solliciter... Que ce soit à la cafétéria de l'IHECS où nous échangions régulièrement, dans l'antre de l'un ou l'autre bouquiniste qu'il avait l'habitude de fréquenter entre deux cours et où je le croisais parfois, ou encore à Hollain, chez lui, où lui et son épouse Colette me recevaient toujours avec cette chaleur que partagent ceux qu'unit l'héritage collectif de l'humilité.
À l'instar de l'esprit qui l'animait, ses conseils m'ont guidé dans ma tâche tout au long de celle-ci. Car, même s'il avait soin de toujours commencer bien de ses phrases par "Je ne sais pas...mais je pense que...", ils se sont toujours avérés justes. À son image.
Puisse-t-il en être remercié ici.
Marc SINNAEVE (ancien Président Master Presse et Informations)