Agrégateur de flux

Quand Trump restreint l’accès à l’information en Afrique

Mammouth - mar, 01/04/2025 - 17:28

Photo : D.R

C’est un chapitre de l’histoire des médias qui se referme… Voice of America (VOA), le service de diffusion internationale financé par le gouvernement américain, vient d’éteindre définitivement ses micros. Après 83 ans d’existence, ce géant de l’information, présent dans près de 50 langues et porté par plus de 1 300 journalistes, a été stoppé net par un décret du président Donald Trump. Une décision brutale qui marque la fin d’une ère. Mais que signifie vraiment cette fermeture pour les médias africains partenaires de VOA ? C’est ce que nous allons décrypter, ensemble, dans cet épisode avec le promoteur de la radio Sahara FM d’Agadez au nord du Niger. Il a été réalisé par Ibrahim Manzo Diallo, stagiaire de l’ARES.

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Réseaux, manifs, syndicats : les jeunes s’engagent-ils pour leurs droits ?

Mammouth - lun, 31/03/2025 - 13:50
On entend parfois que les jeunes ne s’engagent dans les luttes sociales, mais cette affirmation est-elle exacte ?

Après la déclaration gouvernementale de l’Arizona, 100.000 Belges sont descendus dans la rue, le 13 février dernier, pour défendre les acquis sociaux. Les jeunes participent-ils encore aux combats collectifs ?

Abraham Franssen, sociologue à l’Université Catholique de Louvain (UCL), Adam Assaoui porte-parole de la Fédération des Étudiants francophones (FEF), Nel Van Slijpe représentant national des jeunes du syndicat CSC, ainsi que des jeunes concernés (ou non) apportent des éléments de réponse dans ce podcast.

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Quand les célébrités s’engagent

Mammouth - lun, 31/03/2025 - 09:19

L’actualité est un terrain marqué de vives tensions : entre la guerre en Ukraine, le conflit Israël Palestine, et la montée de Donald Trump au pouvoir des États Unis. Et dans ce chaos, les stars cherchent leur place, entre soutien, polémique et influence.

Les célébrités ne peuvent plus se contenter de briller sous les projecteurs avec les sujets qui dominent l’actualité. Sous la pression du public, beaucoup sont poussées à prendre position publiquement. Mais derrière ces prises de parole, quelle est la véritable intention ? Est-ce un engagement authentique ou une simple stratégie de visibilité ?  Dans l’arène des réseaux sociaux, chaque mot est scruté, chaque silence interprété, transformant l’opinion en un véritable terrain de jeu médiatique.

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Mamie et la mémoire de la résistance

Mammouth - ven, 28/03/2025 - 15:52
150.000 belges se sont soulevés contre les Nazis. Parmi eux, mes arrières grands-parents.

Mes arrière-grands-parents ont été résistants durant la Seconde Guerre mondiale. Je ne les ai pas connus, mais grâce à ma grand-mère, j’ai pu les imaginer. Je suis allé la voir pour qu’elle me raconte la vie sous occupation qu’ont vécue ses parents.

La Belgique sans mémoire de résistance ?

Plus de 150.000 résistants belges se sont battus pour défendre leurs libertés contre l’Allemagne nazie. Pourtant, la Belgique a très peu reconnu et valorisé cette partie de son histoire, contrairement à son voisin français. La raison : les difficultés communautaires après la guerre. La question royale, la montée du nationalisme flamand et wallon, ainsi que la radicalité de certains groupes résistants sont les principales causes de ce manque de reconnaissance. Cependant, un nouvel intérêt politique et historique pour la Résistance émerge aujourd’hui en Flandre. Face à la montée de l’extrême droite, le monde scientifique et certains partis de gauche cherchent à mettre en avant cette période de lutte et d’engagement.

Un podcast réalisé par Noah Potloot et Robin D’Aout

Pensée pour Mémé (née Daisy, vécue Georgette), Bon-Papa (Fernand), Mamy (Annie) et Papy (Joseph).

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Quand la Justice ne suit plus

Mammouth - ven, 28/03/2025 - 15:30
Manque de magistrats, manque de moyens, surcharge de travail menacent l’État de droit

Crédit photo: Bastien Hanot

On a pas le temps”. Ce lundi 24 mars, le procès Black Eagle se poursuit devant la Cour d’appel de Bruxelles. Un nouveau méga-dossier qui ralentit considérablement le fonctionnement de la Justice, dont les besoins sont criants. Manque de magistrats, manque de moyens, surcharge de travail menacent l’État de droit.

Le dossier “Black Eagle” fait partie des plus grandes affaires liées au narcotrafic traitées par la Justice bruxelloise ces cinq dernières années. L’enquête avait commencé en septembre 2020 suite à la découverte de plusieurs kilos de cannabis et de grandes quantités d’acétone dans un garage bruxellois. 

Au cours des deux prochains mois, 35 prévenus comparaitront devant les magistrats de la quatorzième chambre de la Cour d’appel de Bruxelles. Ces deux mois ne sont que la partie visible de l’iceberg. Préparer un tel procès requiert d’analyser des “cartons” comportant des centaines de pages, explique un magistrat, que nous avons interrogé au Palais de Justice. Un magistrat aguerri aurait besoin d’au moins un jour pour traiter un seul carton. Or, le procès Black Eagle en comporte 150! Après l’analyse des cartons, comptez un mois et demi pour rédiger l’arrêt. Résultat : toutes les autres affaires prévues entre novembre 2024 et juin 2025 devant la quatorzième chambre du tribunal ont été reportées. 

Les moyens dédiés à la Justice ne suivent pas face au nombre d’affaires. D’après la dernière étude du Collège des cours et des tribunaux, un juge travaille en moyenne 52,8 heures par semaine. Le chiffre monte à 54 heures pour les Cours d’appel et tribunaux de première instance. “Je ne connais pas un magistrat qui ne travaille pas 6 jours sur 7”, nous glisse l’un d’entre eux. Toujours d’après la même étude, il faudrait 43% de juges supplémentaires pour traiter les nouvelles affaires dans les meilleurs délais. La Cour d’appel de Bruxelles est la plus touchée par ce manque de magistrats, au point que des magistrats du civil ont dû être attribués aux méga-dossiers correctionnels. Par effet domino, la Cour d’appel de Bruxelles a annoncé la suspension temporaire de l’activité d’une chambre civile.

“Si on ne réagit pas maintenant, je ne mise pas sur une justice efficace dans 20 ou 30 ans”

Pour les magistrats et les greffiers que nous avons rencontrés, le constat reste le même : trop de dossiers, trop peu de juges, trop peu de moyens. Les tribunaux sont débordés, la Justice est lente. Or, une Justice lente, c’est une Justice fragilisée. Quand il faut des mois, voire des années, pour qu’un jugement soit rendu, c’est l’État de droit qui vacille. Ce principe démocratique repose, notamment, sur la capacité de chacun à faire valoir ses droits dans un délai raisonnable. Pour les victimes, l’attente d’une décision judiciaire, surtout pour des affaires de violences ou de préjudices graves, devient une épreuve supplémentaire, témoigne un avocat, croisé en marge du procès Black Eagle. Cette lenteur joue également sur la crédibilité même du système judiciaire, envers lequel peut s’installer la méfiance des citoyens. “Devra-t-on bientôt renoncer à faire appel ? ”, s’interroge-t-il. 

Le constat n’est pas neuf, mais, les réformes nécessaires pour alléger la charge des tribunaux se font attendre, au grand dam de la magistrature.  Le 19 mars dernier, se tenait le procès fictif “Justice contre État belge” qui dénonçait les problèmes découlant du sous-financement du secteur judiciaire. Cela devient urgent, soupire un juge rencontré au Palais de Justice. “Si on ne réagit pas maintenant, je ne mise pas sur une justice efficace dans 20 ou 30 ans”.

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Black Eagle : le réseau albanais qui inondait la Belgique de cocaïne

Mammouth - ven, 28/03/2025 - 15:18

13,4 millions d’euros: ce sont les gains estimés d’un réseau présumé de narcotrafiquants albanais, qui a distribué de la cocaïne à travers toute l’Europe, depuis la Belgique, durant plusieurs années. En première instance, le tribunal correctionnel de Bruxelles avait condamné 35 des 40 prévenus, et les cerveaux présumés du réseau avaient écopé de neuf ans de prison. Une peine trop clémente pour le paquet fédéral, qui a interjeté appel.

Menottés, guidés et surveillés par des policiers, trois détenus pénètrent la salle du tribunal l’un à la suite de l’autre. Soupçonnés d’être les cerveaux d’un vaste réseau de trafic de drogue, les trois hommes s’asseyent face au président pour le troisième jour de leur procès en appel. Ils écoutent les interrogatoires de leurs complices qui, eux, sont libres n’étant impliqués que de plus loin dans cette affaire. Ils risquent une peine plus lourde que l’emprisonnement de neuf années auquel ils ont été condamnés en première instance. Le procès, qui ne fait que débuter, devrait durer deux mois, en raison de la densité du dossier. Conséquence : la justice belge est chamboulée et tout prend beaucoup plus de temps.

Des gangsters en col blanc

Le réseau, actif dans toute l’Europe, était, et c’est le moins que l’on puisse dire, très bien organisé. Selon Guillaume Lys, l’avocat de l’un des cerveaux du cartel, cette organisation criminelle avait un seul et unique but : l’argent. A l’en croire, ils n’auraient pas eu recours à la violence comme d’autres gangs de narcotrafiquants. “Ce n’était pas un trafic violent. Eux, ils étaient surtout là pour le business.”

La cocaïne entrait en Belgique, dissimulée dans du ciment, du charbon, et même de la pulpe de fruits, via les ports d’Anvers et de Beveren. Peu avant l’entrée des porte-conteneurs dans ces ports belges, le réseau passait déjà à l’action. Pendant que des observateurs surveillaient, à distance, l’entrée des bateaux dans les eaux belges, des extracteurs se rendaient en canoë pneumatique sur les cargos concernés par le trafic. Leur mission était de récupérer la cocaïne avant les contrôles douaniers.

En pleine action, les cerveaux du groupe partageaient leurs directives de travail via la messagerie cryptée Sky ECC. Selon les conclusions de l’enquête, l’un des chefs du réseau, Stefane (nom d’emprunt), faisait également passer ses consignes via son épouse lorsqu’il était déjà en prison. À l’occasion de l’audience du jour, cette dernière a reconnu les faits. Elle aurait agi par “besoin d’argent”

La Belgique, centre de tri à ciel ouvert

Dans les laboratoires du réseau, dans la majorité des cas de simples garages transformés, les petites mains étaient chargées de traiter la matière stupéfiante avec de l’acétone. Ce solvant chimique, régulièrement utilisé par les dealers du monde entier, permet d’éliminer les impuretés et d’affiner la drogue avant sa distribution.

C’est d’ailleurs la découverte d’une grande quantité d’acétone dans un garage situé à Evere, en région bruxelloise, qui a mis la puce à l’oreille de la police. Après quelques fouilles supplémentaires, les forces de l’ordre ont également mis la main sur une grande quantité de cannabis. Au cours des mêmes perquisitions, la police a aussi saisi un volumineux tonneau par lequel 600 kilos de poudre blanche avaient transité. Assez d’indices pour permettre le lancement d’une vaste enquête, qui a débuté en septembre 2020.

Sky ECC, une messagerie d’un nouveau genre

Afin de communiquer le plus discrètement possible, les membres de l’organisation criminelle utilisaient le réseau de communication crypté Sky ECC. Cette messagerie chiffrée ultra-sécurisée était utilisée principalement par des criminels pour communiquer à l’abri des écoutes policières. Elle fonctionnait via des téléphones, sans caméra et avec un micro limité, et les communications étaient étaient chiffrés de bout en bout, rendant les messages en théorie quasiment impossibles à intercepter. En mars 2021, toutefois, différentes autorités européennes ont réussi à pirater le système et à intercepter des millions de messages, permettant une vague massive d’arrestations et la chute de nombreux réseaux criminels. Un important procès s’est conclu en décembre dernier par la condamnation à de lourdes peines.

Dans le dossier Black Eagle, qui constitue un autre volet de l’enquête, le procès en appel, est conséquent. On parle d’un dossier de 180.000 pages, soit autant que celui consacré aux attentats de Bruxelles. Un volume à l’image de la complexité du réseau que les trafiquants avaient réussi à mettre en place.

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Mystère, étoile montante du drag à Bruxelles

Mammouth - ven, 28/03/2025 - 14:17
Rencontre avec une drag queen engagée

Clara Ligot

La jeune drag queen Mystère incarne une nouvelle génération d’artistes bruxellois qui mélangent créativité, humour et engagement. En à peine un an de performances, elle s’impose comme une figure montante du drag bruxellois, repoussant les frontières du genre et offrant une réflexion sur la société.

Lorsqu’il n’incarne pas Mystère, son personnage de drag queen à l’univers clownesque, Hugo, 22 ans, est étudiant en sciences politiques. Depuis ses débuts sur scène il y a moins d’un an, Mystère s’impose déjà comme l’une des étoiles montantes du drag à Bruxelles. Son look est unique : make-up de clown féminin, boule à facettes, talons à plateformes et costumes faits main. Dans un climat où les identités LGBTQIA+ font encore débat, Mystère incarne un drag à la fois artistique et engagé. À travers ses performances, elle interroge les codes sociaux et repousse les frontières du genre.

Le visage d’Hugo, étudiant en sciences politiques, avant de se transformer en Mystère, une drag queen aussi pleine de revendications que son créateur.

Pour toi, qu’est-ce que c’est le drag ?

Pour le résumer assez simplement, le drag c’est l’art queer de jouer avec le genre et avec le corps. Jouer avec le corps, parce que c’est souvent lié à la performance scénique : danse, chant, lipsync, etc. Et genre, parce que c’est jouer avec les codes du genre. Les drag queens sont très connues et jouent avec les codes de la féminité. Mais il existe également des drag kings qui jouent avec les codes de la masculinité. Et à Bruxelles, on a aussi beaucoup de drag queers qui jouent avec le genre en général et qui ne se mettent pas dans une définition de masculin ou féminin.

Qu’est-ce qui t’a poussé à te lancer dans le drag ?

Cela fait très longtemps que j’adore le drag. Je l’ai découvert grâce à l’émission RuPaul’s Drag Race, une téléréalité célèbre aux États-Unis, et désormais dans le monde, qui a vraiment contribué à populariser le drag. J’avais 16 ans et cette émission m’a fait beaucoup de bien car on y voyait des personnes queer, des personnes comme moi. Et puis, quand je suis arrivé à Bruxelles, j’ai commencé à aller voir des shows. J’y ai rencontré Mentalo, qui faisait déjà du drag et m’a un peu poussé à sortir en drag à mon tour. Au début, on se maquillait seulement et on allait voir des shows. Puis au bout d’un moment, je suis monté sur scène moi aussi.

Qu’est-ce qui rend la scène drag bruxelloise et belge unique ?

La scène drag bruxelloise, c’est d’abord une scène ultra bienveillante, où de plus en plus de nouvelles personnes s’essayent au drag, dans un environnement diversifié et vraiment accueillant. En Belgique, le drag reste aussi très humble et créatif. Il est donc moins dans l’obsession des paillettes et du look de star comme on peut le voir aux États-Unis depuis RuPaul’s Drag Race. Ici, c’est axé sur l’art, le message, et la liberté d’explorer d’autres univers.

Peux-tu préciser ce que cette diversité signifie concrètement ?

À Bruxelles, la scène est vraiment diversifiée, et on veille à ce qu’il y ait de la place pour tout le monde. Cette diversité va des drag kings du collectif Barakakings, aux artistes freaks explorant les thèmes de l’horreur et de la monstruosité, jusqu’aux collectifs comme Peaux de Minuit, qui offrent une visibilité aux personnes racisées dans un milieu qui reste majoritairement blanc, il faut l’avouer. Tout cela se mélange, chacun s’invite dans l’univers des autres. Aussi, de nombreux de shows intègrent des revendications politiques. C’est donc cette bienveillance, cette diversité, et cet engagement qui rendent la scène drag belge unique.

Place maintenant à la question bateau du journaliste : le drag est-il politique ?

D’un côté, j’ai envie de dire oui, car le simple fait qu’on existe crée débat. Si on regarde les plateaux en France par exemple, dès qu’une drag queen fait une apparition publique, on parle de « wokisme » et d’endoctrinement des enfants. Nos existences et notre travail sont politiques parce qu’on n’a clairement pas encore notre place. Je pense aussi que beaucoup d’entre nous dans la communauté sont très politisés, et que nous avons un peu dû le devenir, car nous avons des revendications non seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour les autres. Et finalement – c’est mon côté étudiant en sciences politiques qui parle – qu’est ce qui n’est pas politique ? J’ai une performance notamment qui parle du genre masculin qui peut être très toxique et violent, et une autre en préparation sur la montée de l’extrême droite. Donc oui, je pense que le drag est politique, même si cela reste un concept large et peut parfois vouloir dire tout et n’importe quoi.

Nos existences et notre travail sont politiques parce qu’on n’a clairement pas encore notre place.

Comment réagis-tu à la montée des discours haineux et des mouvements extrémistes en Europe ? L’art en est-il influencé ?

Ah oui, il en reste très influencé parce qu’en fait on réagit. Il y a vraiment un climat ambiant où les personnes queer et surtout les personnes trans et non-binaires sont le bouc émissaire de l’extrême droite. Et ce qui est très énervant dans ce débat, c’est qu’on ne nous laisse jamais la place et la parole. Par exemple, suite au sketch queerphobe du Grand Cactus [NDLR : En septembre 2024, un sketch du Grand Cactus parodiant les identités trans et non-binaires a suscité des critiques et des plaintes auprès du CSA, conduisant la RTBF à présenter ses excuses], ou encore la polémique des drag queens présentes à la cérémonie d’ouverture des J.O., on ne nous a jamais invités sur un plateau télévisé pour créer un dialogue et donner notre avis. Il suffit que chacun fasse un pas vers l’autre : à nous d’aller vers ceux qui ne nous comprennent pas, et à eux de faire l’effort de s’intéresser.

Comment Mystère joue-t-elle avec les normes et les codes sociaux ?

Je pense qu’au départ, Mystère a beaucoup brisé les normes pour Hugo, dans le sens où elle m’a vraiment permis de jouer avec mon genre à moi. Elle brise les normes rien qu’en existant, parce que le drag n’est pas dans les normes. Et puis c’est surtout en performance et parfois aussi par message.  Elle essaye de mettre du flou sur le genre dans le sens large, et sur le genre qu’elle représente. Elle a clairement un genre féminin avec les habits qu’elle porte, son make-up et ses attitudes. Mais j’aime aussi beaucoup jouer avec l’androgynie car je n’ai pas forcément envie qu’elle se résume simplement aux codes de la féminité. Parce que c’est possible, on peut jouer avec tout et c’est très drôle. Au final, le genre c’est une performance. Judith Butler, une philosophe américaine, explique d’ailleurs que chacun est en quelque sorte une drag queen en adoptant les codes du genre qui lui ont été assignés.

Quel regard portes-tu sur ton avenir en tant que drag queen ?

J’ai surtout envie que ça dure ! Cela fait moins d’un an que j’ai commencé la scène, et le drag est un art dans lequel je me sens vraiment bien, qui a ravivé ma créativité. J’aimerais trouver un métier compatible avec le drag, car pour l’instant, en Belgique, il ne permet pas d’en vivre. Je souhaite pouvoir continuer à l’explorer longtemps.

Au final, le genre c’est une performance.

« Mystère a clairement un genre féminin avec les habits qu’elle porte, son make-up et ses attitudes. Mais j’aime aussi beaucoup jouer avec l’androgynie car je n’ai pas forcément envie qu’elle se résume simplement aux codes de la féminité. »

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Au Royaume-Uni, mourir coûte cher

Mammouth - mer, 26/03/2025 - 10:49
La spéculation boursière dope le prix des funérailles

Photo: Pexels

Au Royaume-Uni, mourir coûte très cher. L’augmentation des prix funéraires s’explique par l’inflation, mais pas que. Dans cet explainer, on te montre pourquoi la spéculation boursière joue un rôle important. Au fait, en Belgique, ça dit quoi ? Chez nous aussi, de plus en plus de grands groupes rachètent des pompes funèbres indépendantes, en augmentant leurs parts de marché.
On observe une augmentation des prix funéraires: 71% depuis 20 ans (alors que le coût de la vie n’a augmenté « que » de 55%). La tendance est donc similaire, même si elle est moins forte qu’au Royaume-Uni.

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Thibaut Courtois: un retour qui ne se passe pas comme prévu

Mammouth - mer, 26/03/2025 - 09:44

Tedesco parti, Garcia arrivé, et Courtois de retour. Après 21 mois d’absence, marqués par des tensions avec l’ancien sélectionneur, le gardien du Réal Madrid retrouvait enfin les Diables Rouges la semaine dernière. Son come-back divise, tant l’attitude du portier n’a pas plu à tous. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il ne s’est pas déroulé au mieux. 

En se retournant pour le troisième fois, jeudi 20 avril, sur un goal d’Illia Zabarnyi qui scellait la déroute des Diables rouges contre l’Ukraine, Thibaut Courtois s’est peut-être demandé s’il avait bien fait de revenir en équipe nationale. Beau joueur, il déclarait après le match que “parfois, c’est bien de prendre une défaite comme celle-là pour se réveiller dimanche.” L’avenir lui a donné raison… même s’il n’était pas sur le terrain pour la remontada à Genk, victime, selon l’Union belge, d’une surcharge musculaire. Bref, ce retour avec l’équipe nationale n’aura pas laissé un souvenir impérissable au gardien du Réal.  

Deux ans plus tôt, le 17 juin 2023, Courtois disputait ce qui serait son dernier match avec la sélection avant longtemps. Déçu par le manque de considération de la fédération belge et par la décision de Domenico Tedesco d’attribuer le brassard de capitaine à Romelu Lukaku, le portier du Réal Madrid choisit de quitter le groupe deux jours plus tard. Une conférence de presse est immédiatement prévue et Domenico Tedesco ne fait pas dans la dentelle : “On avait décidé que Romelu serait capitaine contre l’Autriche et Thibaut contre l’Estonie. C’était OK. Après le match, il s’est senti offensé de cela. Je suis surpris et choqué. Une blessure ? Ça serait facile pour moi de dire qu’il est blessé. Mais ce serait un mensonge de ma part.” Dans la soirée, Thibaut Courtois lui répond et l’accuse d’avoir « fourni un compte rendu partiel et subjectif de leur conversation, les évaluations de l’entraîneur ne correspondaient pas à la réalité. » 

Six mois plus tard, le gardien du Réal, qui est en train de se remettre d’une rupture des ligaments croisés, attaque Domenico Tedesco et annonce qu’il ne participera pas à l’Euro 2024 en Allemagne : “Si j’ai de la chance, je pourrai rejouer en mai. Mais je ne serai jamais prêt à 100% pour un grand tournoi. Je ne vais pas y aller pour être dans le but à 80%, alors que nous avons d’autres bons gardiens. Le match contre l’Autriche était mon 102e avec les Diables Rouges, et un hommage était prévu pour ma centième sélection. Quand il a dit que Romelu était capitaine contre l’Autriche et que j’étais capitaine contre l’Estonie, quelque chose s’est brisé en moi.”

Enfin, en mars, soit trois mois avant le début du tournoi continental, le gardien formé à Genk en remet une couche : “Il n’y a rien de neuf de mon côté, aucune nouvelle information. Je pense avoir tout fait, j’ai tout essayé. Mais la dernière info que j’ai reçue, c’est celle qu’il a communiquée dans les médias.” Ambiance chez les Diables à l’aube de l’Euro allemand !

Une personnalité controversée mise en cause 

Dans les mois qui suivent, le cas Courtois divise dans le vestiaire et auprès des supporters. Après l’épisode du brassard, le portier s’est véritablement mis le pays et sa propre sélection à dos, provoquant un tollé médiatique. Une polémique que l’équipe nationale aurait volontiers évitée à l’aube d’un Euro 2024, qui résonne encore comme un véritable échec sportif. 

Si le comportement de Courtois n’a eu qu’un impact minime sur la prestation des Diables en Allemagne, il aura été un grand acteur du le licenciement du technicien de Stuttgart quelques mois plus tard. Finalement de retour, le grand portier s’est expliqué en conférence de presse lors de ce rassemblement du mois de mars : “Sans doute que j’aurais pu agir différemment par rapport aux joueurs de la sélection ou aux supporters. Parfois, je réagis fortement. Cela fait partie de mon caractère et il ne va pas changer”.  

Un caractère intraitable irrite certains observateurs. Pourtant, comme le souligne Kévin Sauvage, journaliste sportif pour Sudinfo, c’est ce qui fait la marque des grands champions : “Je ne pense pas que Thibaut Courtois soit différent d’un Michel Preud’homme ou d’un Jean Marie Pfaff, deux anciens gardiens nationaux. Eux aussi avaient un caractère bien trempé.” Kévin Sauvage renchérit : “Un vestiaire c’est comme une entreprise, on est pas obligé d’être amis avec tout le monde. Les joueurs, qui sont sélectionnés aujourd’hui, si on leur dit que Courtois va les aider à remporter la coupe du monde 2026, ils signent forcément des deux mains.” 

Le vestiaire des Diables regorge d’autres égos, tels que ceux de Kevin De Bruyne ou de Romelu Lukaku, qui ont eux aussi leur mot à dire. Mais à la différence de ces derniers, Courtois se montre parfois plus individualiste, comme le souligne Grégory Bayet, chef d’édition du pôle sport au sein du Groupe Rossel : “Il a déjà montré par le passé des attitudes plus égocentriques. Je me souviens, après l’Euro 2016 et l’élimination face au Pays de Galles, il s’en était vite pris à Marc Wilmots et sa tactique. Chez Courtois, on a senti que c’était vite la faute du groupe, celle des autres mais rarement la sienne.” Cependant, le journaliste précise : “Sans cette mentalité, il n’aurait pas eu sa carrière actuelle. 

Des supporters sportivement heureux, mais humainement déçus 

Le retour du portier du Réal de Madrid divise au sein même des supporters. Fabien De Ro, président des “The Flying Devils” et supporter des Diables rouges depuis des dizaines d’années, se dit content d’un point de vue sportif, mais ne voulait pas mettre la charrue avant les bœufs, à l’aube de la double confrontation décisive face à l’Ukraine : “Désormais, Courtois est là, mais on verra ce que l’avenir nous dira.” Le supporter espère toutefois que l’impact de Courtois va augmenter les performances des Diables, notamment par son expérience, son niveau de jeu actuel et son rôle dans l’accompagnement des jeunes.

Danny Lorge, le vice-président du club “Diables des collines” et organisateur des différents déplacements, a lui aussi un avis assez mitigé : “D’un côté, c’est le meilleur gardien du monde, donc c’est positif pour la qualité du football. D’un autre côté, après ce qu’il a fait, je ne pense pas que cela soit bénéfique pour le groupe.” Contrairement à Fabien De Ro, il pense que la présence de Courtois n’élèvera pas significativement le niveau de la sélection : “ Certes, il a son expérience derrière lui, mais je ne pense pas que c’est lui qui va faire une grande différence sur le terrain. Sinon on aurait déjà gagné la Coupe du Monde en 2018.” Il ajoute même qu’humainement “ce n’est pas une bonne chose pour le groupe”. Danny précise toutefois que les clés de cette affaire se trouvent dans les mains du nouveau sélectionneur, Rudi Garcia. 

Un autre point sur lequel les deux supporters se rejoignent complètement est le comportement du portier aux 102 sélections par rapport à l’ancien sélectionneur Domenico Tedesco. “Son comportement était déplorable envers Tedesco. Même s’il n’a pas fait que des bons choix, il faut respecter l’homme et l’entraîneur qu’il est.”, dit Fabien. De son côté, Danny remet le caractère fort du portier en doute : “Quand on a un problème avec l’entraîneur, on se bat pour lui montrer qu’il a tort et on discute avec lui. On ne pleure pas et on ne prend pas le premier avion pour retourner à la maison.” 

Entre enthousiasme et colère envers le gardien de 32 ans, les supporters des Diables rouges se chiffonnent sur ce “cas Courtois”. Fraîchement arrivé depuis le 24 janvier dernier, Rudi Garcia possède une grande confiance envers le gardien belge et veut au plus vite enterrer toute cette saga. Supporter des Red Devils depuis des dizaines d’années, Danny Lorge veut voir l’avenir de façon positive mais aussi réaliste : “Est-ce qu’on peut pardonner ? Quelque part tout le monde mérite une deuxième chance. Maintenant, c’est à lui de montrer qu’il veut gagner et aller dans le même sens que nous.” Le peuple belge attend donc d’être reconquis par le gardien qui avait fait vibrer toute une nation lors de l’épopée russe en 2018. 

Retour gagnant… en tribunes

Sans surprise, le jeudi 20 mars sur le coup de 19h45, les supporters des Diables ont pu apprécier le choix de Rudi Garcia de titulariser le géant belge dans les cages belges. Mais malgré quelques grands arrêts, le portier n’a pas pu éviter la déroute belge à Murcie contre des Ukrainiens très efficaces. Souffrant, selon l’Union belge, d’une surcharge musculaire, il n’a pas été aligné dimanche dernier lors d’un match retour dans lequel les Belges se sont largement imposés (3-0). Certains observateurs auront pu tout de même remarquer la présence du portier belge en tribune, venu saluer l’incroyable performance de ses coéquipiers.

Un des enseignements du retour de Courtois lors de ce rassemblement de mars est que l’équipe belge a besoin de ses leaders si elle veut accomplir de grandes choses dans le futur. Des joueurs comme Kevin de Bruyne, Lukaku et même Courtois ont démontré que l’apport “des anciens” est nécessaire pour guider au mieux la future génération des Diables. Qu’on l’aime ou non, c’est peut-être ce caractère qui a fait de Courtois l’un des meilleurs gardiens du monde et de l’histoire des Diables rouges.

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Comme une trainée de cailloux

Mammouth - mar, 25/03/2025 - 14:29
Bruxelles sous crack

Photo: Adobe Stock

Bruxelles est familière des consommateurs de crack. Elle en abrite dans ses métros, dans ses rues. Depuis quelques années, ce stupéfiant s’enracine dans la capitale. Ses usagers le consomment en grande partie dans l’espace public, ce qui leur vaut d’être parfois stigmatisés, souvent incompris. Entre police, milieu associatif et riverains, les imaginaires et les réponses à cette crise divergent. Balade dans Bruxelles sous crack, au cœur de ces approches contrastées.

La lumière blafarde d’une station de métro. Les murs en béton, le carrelage jaune défraichi. Une poubelle qui déborde, toujours. En haut de la pile tantôt une seringue, tantôt un sac-poubelle inoffensif. Des sièges rouge flamboyant qui font tache, comme s’ils voulaient donner une atmosphère de fête d’anniversaire à un enterrement. Deux escaliers bordent la station. Sur celui de droite, trois silhouettes, en quinconce. Et comme un accord tacite avec les passants qui dit, par peur ou par bon sens, il vaut mieux passer par l’escalator. Un homme assis, au milieu de la volée de marches, un briquet, une pipe. Il fume du crack.

Ce tableau se donne à voir entre les murs de la station de métro Ribaucourt. Cette dernière est une habituée des consommateurs de crack cherchant un abri pour combler le manque. Bruxelles traverse « une crise du crack ». Selon les chiffres de l’asbl Transit, centre d’accueil pour usagers de drogue, trois quarts des consommateurs de la capitale prennent ce dérivé de la cocaïne, ce qui en fait la drogue la plus populaire en rue.

Les ingrédients de l’avènement du crack  

David Van De Velde est policier. Après six ans d’intervention, il quitte la rue pour la recherche, à la police locale de la ZP Wokra (Wezembeek-Oppem et Kraainem). Il est coutumier des dossiers de narcotrafic et a vu la situation de la capitale évoluer au fil des années.

Le crack, cocaïne basée ou fumable, est la version la moins chère de la cocaïne. Elle est obtenue en chauffant et mélangeant cette dernière avec du bicarbonate ou de l’ammonium, pour obtenir des cailloux. Moins cher, et encore plus addictive. David Van De Velde explique que l’augmentation de la consommation de crack est due à sa grande disponibilité dans les grandes villes belges et particulièrement dans la capitale. Chaque année de plus en plus de cocaïne arrive par le port d’Anvers. « C’est le principe économique de base. Lorsque l’offre d’un produit augmente, son prix diminue. » Le prix de la cocaïne a donc baissé, pour atteindre une valeur marchande actuelle de 50 euros le gramme. Les trafiquants cherchent des moyens d’élargir leur marché. Une partie des importations massives de cocaïne est transformée en crack, et vendue principalement aux personnes défavorisées. Selon les chiffres de GATE (salle de consommation à moindre risque bruxelloise), 30 à 50 % de ses usagers sont en situation d’errance. C’est un nouveau public de consommateur, qui augmente les ventes.

« Il est beaucoup trop facile de se procurer du crack à Bruxelles. Tout le monde connait les hotspots et les quartiers où tu peux en trouver » critique le policier. L’euphorie provoquée par le stimulant est de très courte durée, de 30 secondes à quelques minutes. La redescente est alors particulièrement dure. Ce caractère la rend encore plus addictive et la dépendance psychologique à la substance peut commencer dès la première prise.

Mes gosses ils voient ça, je serais pas étonnée qu’ils se mettent à fumer du crack aussi. 

Une consommation à ciel ouvert qui dérange

Un soir, vers minuit, un métro de la ligne 6, en direction d’Elisabeth arrive dans la station de Rogier. La rame est inhospitalière, habillée de jaune de bout en bout. Les places y sont disposées par quatre, au grand dam des introvertis, qui ne savent pas très bien où poser leurs jambes et leurs regards dans cette foule hétéroclite.

Une femme monte à Rogier, visiblement ivre. Sa chevelure aux reflets blond et brun est attachée en chignon désordonné. Sur son dos, un gros sac à dos noir. À ses pieds, d’imposantes baskets. Elle se joint aux autres voyageurs du métro, mais fait fi des conventions tacites de ce lieu. Ces règles de bienséance élémentaire qui consistent à se taire et prendre le moins de place possible. Elle colle son visage à la vitre du vaisseau sous-terrain et adresse aux travailleurs de la Stib, restés sur le quai, grimaces et insultes. Ces derniers lui répondent par un rire et de l’indifférence. Elle entame alors un monologue qui leur est symboliquement adressé : « Putain, je me suis pris 100 balles d’amende pour une bière, mais y en a qui fument du crack sur les escaliers devant tout le monde. Et c’est moi le problème avec ma bière ? Mes gosses ils voient ça. Je serais pas étonnée s’ils se mettent à fumer du crack aussi. Il faut qu’ils les arrêtent, la police. Mais ils font rien, ils ont peur. S’ils le font pas, je vais le faire moi. » Elle quitte le métro à Ribaucourt. Ses baskets effleurent à peine le sol jauni qu’elle clame: « Putain, ils sont pas là ! » Presque déçue de ne pas pouvoir reporter sa colère sur les principaux concernés.

Ce discours désordonné aux relents d’alcool est symptomatique d’un sentiment de malaise qui touche certains usagers du métro et riverains, vis-à-vis de la consommation de crack dans l’espace public. Est-ce possible de l’éviter ? La répression policière est-elle une solution ? David Van De Velde est désemparé face au manque de moyens de la police pour lutter contre la consommation dans l’espace public. « Si une personne est sous l’influence de substances psychotropes dans un lieu public, la police peut la retenir le temps de son dégrisement, maximum six heures. C’est une solution à très court terme, très simpliste. ». Il pense que des actions à plus long terme devraient avoir lieu dans ces endroits. « Il faut s’attaquer à la source du problème, empêcher la distribution en Belgique. Mais on se heurte toujours au même problème du sous-effectif de la police et de la justice. »

Réduire les risques, la solution ?

Au-delà de la répression policière, d’autres acteurs, particulièrement du milieu associatif, plaident pour une approche différente du problème. Ils pensent que pour réduire les nuisances liées à la consommation de substance dans l’espace public, il faut adopter des techniques de réduction des risques liés à la prise de drogues. L’ASBL bruxelloise Modus Vivendi est pionnière dans le secteur.

Illia Sarkissiane est chargé de projet chez Modus Vivendi depuis dix ans. À côté de ça, il se définit de manière non-exhaustive comme un amateur de reggae, de thé noir et de chapeaux. Celui qui orne son visage ce jour-là est noir avec une bande brune et cache presque son regard doux et déterminé.

La réduction des risques désigne un ensemble de pratiques et de politiques dont le but est de diminuer les effets négatifs liés à la consommation de drogue, pour les usagers et leur environnement, au sens large du terme. Illia Sarkissiane précise : « C’est une approche de la santé publique différente de la prévention et du soin. Elle s’adresse directement aux usagers et usagères de drogue. L’idée est de donner l’information la plus objective, pour que les personnes puissent consommer en ayant le moins de risque possible. Et de toujours travailler dans les milieux de vie des usagers de drogue, et avec eux. C’est essentiel d’être là où les gens consomment, parce que passer une porte, c’est parfois compliqué pour eux. »

La réduction des risques, ça passe en partie par les SCMR, des salles de consommation à moindre risque. Ce sont des endroits qui offrent un environnement supervisé, avec une équipe spécialisée, pour permettre aux usagers de drogue, très souvent en situation de sans-abrisme, de consommer dans un lieu et un contexte sécurisé. Leur objectif est aussi de pacifier l’espace public en évitant la consommation de psychotropes dans des stations de métro ou dans des parcs. Il existe près de 100 SCMR en Europe, dont une à Bruxelles, à Lemonnier, inaugurée en mai 2022.

Illia Sarkissiane poursuit : « Les SCMR, c’est vraiment une bonne solution. » Mais ces initiatives sont difficiles à implanter dans la capitale. « Le truc particulier, c’est que c’est des salles qui sont ouvertes contre l’avis du fédéral. Dans la loi de 1921, qui régit la consommation de drogue en Belgique, il est écrit texto qu’on ne peut pas mettre de local à disposition pour faciliter l’usage de drogue. » Cette loi centenaire a été votée à l’origine pour éviter les fumeries d’opium en Belgique. « Maintenant, les mœurs ont changé. Mais à cause de cette loi, c’est très difficile d’ouvrir des salles de consommation. On y arrive parce qu’on est en Belgique, et qu’il y a tellement de niveaux de pouvoir qu’on arrive à négocier, mais ça ne facilite pas la chose. »

Une partie des riverains voient ces SCMR d’un mauvais œil, et freine leur installation, par peur que ces salles ajoutent un sentiment d’insécurité et de violence dans leurs quartiers. C’est le cas à Molenbeek. Une salle doit ouvrir ses portes dans un ancien hôtel situé à mi-chemin entre deux hotspots : Ribaucourt et Yser.

Des gens qui crient, qui se droguent on en voit. Mais si on ouvre une salle, ça va être encore plus. 

Réticence des habitants face aux salles de consommation

La station de métro d’Yser a le même sol couleur blond délavé et la lumière caractéristique que les autres stations souterraines. Mais ses murs blancs décorés d’hexagones couleur écarlate aux allures hypnotiques sont uniques. Par terre, un sachet blanc caresse le sol et nargue un trio de poubelles blanc-jaune-bleu. Sur les sièges couleur acier, un père et son fils attendent. En haut de l’escalier, un homme et une femme assis par terre, entourée de leurs biens, mendient des pièces aux passants qui se bousculent aux portiques.

À quelques pas de la station, dans la rue de Laeken, se dresse la boucherie Olbrechts. Sa patronne partage son inquiétude à l’idée de voir ouvrir une salle de consommation. « Une salle où les gens peuvent se droguer ? Ha non, ça non hein. Non. Des gens qui crient, qui se droguent, on en voit. Mais si on ouvre une salle, ça va être encore plus. Ça va tirer dans tous les sens. »

Le travailleur de Modus Vivendi rétorque que tous les chiffres prouvent le contraire. En effet, plus de 16.000 consommations de drogue ont déjà été évitées dans l’espace public à Bruxelles grâce à la SMCR de Lemonnier. On ne constate aucune augmentation de la criminalité aux abords de la salle. « Mais voilà, c’est pas parce que tu dis ça que ça va rassurer les gens. En fait, les gens voudraient que les consommateurs de Ribaucourt disparaissent. Mais ça n’arrivera pas. Avoir une salle de consommation, ça permettrait qu’ils soient plus dans le métro, mais qu’ils soient dans la salle de conso. Mais ça, on a beau l’expliquer aux gens ils pensent que non, il faut qu’ils partent. On veut bien aider les toxicomanes, tant qu’ils sont pas à côté de chez soi. On est tous plein de bons sentiments, mais quand ils commencent à fumer dans ton entrée de garage, t’as pas envie qu’ils soient là. »

Changer de regard sur le crack par la dépénalisation

Illia Sarkissiane, à l’instar de beaucoup de membres du secteur associatif, pense que le problème de la consommation de crack doit être traité comme un problème de santé, et non d’ordre public. Pour lui la solution, c’est la dépénalisation. « Comme au Portugal. Ça fonctionne assez bien. Ils ont dépénalisé toutes les drogues. Donc quand tu consommes en rue, tu n’as plus affaire à la police, t’as affaire à la santé publique. C’est une autre vision. Les usagers de drogue, c’est pas des criminels. Souvent, c’est des gens qui ont besoin d’aide, d’une structure. Les criminaliser, ça ne fait qu’augmenter les violences et augmenter leur consommation. » Il pointe aussi le fait que la santé publique peut alors offrir des soins et des cures, car beaucoup de consommateurs de crack qui sont dans une addiction ont envie d’en sortir. « Mais ça va avec les conditions de vie. Quand tu vis en rue, c’est des conditions de vie compliquées et donc dormir si t’es pas complètement défoncé c’est pas possible. »

On est tous pleins de bons sentiments, mais quand ils commencent à fumer dans ton entrée de garage, t’as pas envie qu’ils soient là. 

La consommation de crack ne peut être réduite à une simple nuisance. Elle est avant tout un enjeu de santé publique, symptôme d’une souffrance souvent invisible. Le crack se glisse dans les pavés, là où l’errance et le désespoir creusent leur lit. Au-delà d’un problème d’ordre public, c’est une réalité humaine et multiple. Ces silhouettes ont chacune une histoire et des maux, qu’elles oublient peut-être, le temps d’une flamme et d’un caillou.

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Quelle pilule choisir pour minimiser les risques ?

Mammouth - lun, 24/03/2025 - 14:18
La pilule à œstrogènes synthétiques vous donne 6 fois plus de risques d’avoir une thrombose

Connaissez-vous la différence entre une pilule à œstrogènes synthétiques et une pilule à œstrogènes naturels ? L’une des deux vous donne 6 fois plus de risques d’avoir une thrombose, on vous explique !

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Code de conduite et CARE TEAM, le BIFFF, Brussels International Film Fantastic, se renouvèle.

Mammouth - dim, 23/03/2025 - 22:46

Un code de conduite, une CARE TEAM et une « Safer Space»  sont  les nouvelles structures mises en place par le BIFFF, Brussels International Film Fantastic Festival pour sa 43e édition. Du changement et renouvèlement que l’équipe du festival jugeait plus que nécessaire en dépit des incidents survenus lors de de la précédente édition.

Lors de la conférence de presse du festival ce 19 mars à  l’hôtel de ville de Bruxelles, l’équipe a ainsi rappeler : « L’essentiel, c’est que l’on préserve l’esprit du BIFFF et surtout notre public fidèle, qui comprend la différence entre exutoire et défouloir. » La particularité du BIFFF est de laisser le public s’exprimer pendant les séances. Les personnes peuvent ainsi se permettre d’intervenir dans la salle contrairement au sein des salles de cinéma « classique ». Ainsi, plus il il y a d’interventions et de réactions, plus cela est jugé positif pour le festival.

Le BIFFF face à la polémique

En 2024, pour sa 42e édition, le caractère si récréatif du festival a soudain pris une toute autre envergure. Le BIFFF projetait le film « Love lies bleeding » avec Kristen Stewart et Katy M.Obrian. Un thriller  romantique qui raconte l’histoire d’amour tumultueuse entre une bodybuildeuse et une auto-stoppeuse. Dans la salle se trouvaient des personnes qui ne connaissaient pas les codes du festival. Mais vers le milieu du film, la séance a été soudainement interrompue par des propos jugés « lesbophobes » tenus haut et fort par certains spectateurs qui ont commencé à se moquer et à juger le caractère lesbien su film. Une partie du public, membre de la communauté LBGTQIA+, s’est sentie visée et a rétorqué face à ces insultes. S’en est suivie alors une confrontation entre les personnes qui défendaient leur communauté et  identité et ceux qui les jugeaient. Une partie du public s’est sentie jugée et offensée et a quitté la salle. L’équipe du festival, dont une partie a été violentée mentalement et physiquement, ainsi que la police ont dû intervenir. En 42 ans d’activité, cela ne s’était jamais produit au sein de ce festival, à la renommée internationale.

Emma Fontaine, bénévole depuis des années au festival, était présente lors de l’événement. Choquée et gênée, elle se souvient d’une escalade de violence « horrible » qui a été, selon elle, mal gérée par le festival et craint maintenant que de tels événements se reproduisent à l’avenir.

Jonathan Lenaerts, attaché de presse du festival, ne s’attendait pas à de tels propos et accuse les médias qui n’ont pas décrit la réalité des fait.  « Ca n’a jamais été aussi violent que ce que ces derniers prétendent. » dit-il. «  Si ce que les médias ont décrit s’étaient réellement passé, certains grands producteurs importants présents seraient parti directement du festival et se seraient désolidarisé du festival ». Jonathan Lenaerts appuie néanmoins sur le fait qu’il est important que le festival évolue et que l’équipe doit contextualiser le festival afin que chaque spectateur soit conscient de l’atmosphère du festival.

Le BIFFF s’adapte

Suite aux événements polémiques de la saison précédente, l’équipe du festival a décidé pour la première fois de mette en place un code de conduite. Ce code vise à rappeler qu’aucune forme de violence morale et physique sera toléré pendant le festival comme du racisme, de la misogynie, et toute autre forme d’ intimidation à caractère discriminatoire portant atteinte à autrui. Les festivaliers qui ne respecteront pas ce code seront sanctionnés en étant expulsé du festival par un retrait de pass, accréditions ou billets et ce sans remboursement possible. Des vidéos de préventions seront également projetées avant certaines séances du festival.

Le BIFFF intègre également cette année une CARE TEAM. Déjà très rependue dans une dizaine de festivals, la CARE TEAM du BIFFF, située au stand Safer Space, composée de bénévoles, sera un lieu où toute personne qui se sent confrontée face à des propos inappropriés pourra venir s’exprimer et sera accompagnée pour trouver des solutions. La CARE TEAM aura reçu une formation par le Plan Sacha, un Plan de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, spécialement conçu pour les milieux festifs, pour prendre en charge les victimes, les écouter, les amener dans un lieu calme et sécurisé et signaler ces situations aux autres niveaux de sécurité pour mieux et plus vite identifier d’éventuels agresseurs et agresseuses. Cela  permettra de cette façon à œuvrer à la « désescalade » de la situation.

Nino était présente à la projection de « Love lies bleeding ». Iel comme les autres personnes qui s’étaient senties visées par les remarques discriminantes, se souvient avoir été forcée de quitter la salle et non les agresseurs ce qu’iel ne trouve pas normal du tout. Nino pense que l’intégration de cette CARE TEAM n’est pas suffisante pour encadrer et protéger le festival de de toute agression discriminante. Selon iel, il faut que l’équipe agisse en amont en intégrant par exemple une équipe composée de personnes qui ne sont pas propices à ce genre d’agression qui s’occuperait des agresseurs pendant le festival.

Laura, membre de l’équipe du BIFFF, est quant à elle confiante sur la mise en place de cette nouvelle structure : « Via la Care Team on peut nouer le dialogue sur tout un tas de choses, amener une conversation sur des sujets qui divisent parfois, avec pour but une meilleure compréhension des sensibilités de chacun et chacune. »

Le BIFFF proposera également 4 séances «  silencieuses » qui permettra aux spectateurs qui le désirent de profiter des séances dans le calme complet.

Un avenir compromis

Bien que la 42e édition ai été très impactée, l’équipe du festival est belle et bien déterminée à avancer et à se relever des incidents. Mais le BIFFF doit désormais faire face à l’absence de garantie de financement de la part du gouvernement bruxellois qui n’est pas pleinement opérationnel et qui pourrait compromettre l’édition 2026 du festival.

Toutes les informations sur l’édition 2025 : https://www.bifff.net/

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Dysfonctionnement de la justice: l’État belge est-il coupable ?

Mammouth - dim, 23/03/2025 - 10:47

L’auditoire du Janson, sur le campus de l’Université Libre de Bruxelles, accueillait le mercredi 19 mars au soir des professionnels de la justice pour un procès fictif “Justice contre État belge”. Fictif sur la forme, ce procès était bien réel sur le fond: il visait à dénoncer les dysfonctionnements, les manques de moyens et la lenteur de la justice ainsi que les nombreuses violations de l’État de droit. 

Le plus grand auditoire de l’ULB était transformé, pour un soir, en salle d’audience. “Le spectacle va commencer, je vous souhaite agréable. La cour !” Sur ces paroles prononcées par l’organisatrice de l’événement, Manuella Cadelli, les magistrats, la présidente et le procureur du roi ont fait leur entrée, suivis des accusés et de leur avocat, sous les applaudissements du public qui ferait office de jury.

Choisir entre une rame de papier ou du papier toilette« . C’est l’exemple donné par Audrey Lackner, représentante de la justice, pour dénoncer le manque de moyens dont souffre le système judiciaire belge. Toute la soirée, les intervenants se succèdent pour témoigner devant le jury. C’est au tour de l’État belge, représenté par Jacques Englebert, qui opte pour une défense sur le ton de l’humour. Sur le même ton, une magistrate suggère de recourir à un crowdfunding pour financer la justice!

Dans son introduction, la magistrate Manuela Cadelli avait rappelé que le monde judiciaire a lancé son cri d’alarme il y a dix ans. Jeudi 20 mars 2025 marque en effet le dixième anniversaire de la “Journée de la Justice”. Durant cette période, certaines choses ont changé mais beaucoup trop lentement tandis que d’autres ont empiré. Plusieurs grands noms du monde judiciaire belge, notamment Jean De Codt, ancien président de la Cour de Cassation, Laurence Massart, première présidente de la Cour d’Appel de Bruxelles, et Jean-Pierre Buyle, ancien bâtonnier, ont abondé dans cette direction. 

Des témoins ont été appelés à la barre, comme l’expert en économie belge Bruno Colmant et le procureur du roi de Bruxelles Julien Moinil. Ce dernier a témoigné du burn-out dû au manque de personnel, du nombre démesuré de jugements non exécutés (le plus ancien datant de 2021) et des délais excessifs des jugements. Mais le témoignage qu’on retiendra le plus, c’est celui de Nathalie Penning : “quand la cour de cassation cassera, je serai grand-mère”. Une phrase choc qui dénonce les arriérés judiciaires et la durée insoutenable du jugement. 

À l’issue de ce procès et des échanges avec le public, 509 personnes ont été amenées à voter simultanément pour rendre le verdict. Appelé à se prononcer sur la culpabilité de Justice et de l’État belge, le jury a rendu une décision sans ambiguïté: l’État belge est jugé coupable à 96% tandis que la Justice est déclarée innocente à 77,9%. Toujours sur un ton humoristique, Jacques Englebert, qui incarnait l’État belge, est venu en tendant les poignets auprès du procureur en signe d’accord avec la décision. 

Une pétition remise à la ministre de la Justice

Au lendemain de cette fausse condamnation de l’État belge, une délégation de 7 acteurs clés du secteur judiciaire a été accueillie, dans le bureau de la nouvelle ministre de la Justice, Annelies Verlinden. Parmi eux, la bâtonnière de l’Ordre francophone des avocats du barreau de Bruxelles, Marie Dupont, le président d’Avocats.be Stéphane Gothot, le premier président de la Cour de cassation, Eric de Formanoir, ainsi que le procureur général de Bruxelles, Frédéric Van Leeuw.

Le but de cette rencontre : la remise en main propre d’une lettre qui tire la sonnette d’alarme en faveur d’une justice indépendante, démocratique, accessible, efficace et humaine. 

La justice n’est pas seulement la justice de la lutte contre le terrorisme, le grand banditisme, et le trafic de drogue. Tout ça est essentiel, (…) mais il y a aussi la justice de tous les jours”, a déclaré Eric de Formanoir à l’issue de la rencontre.

Les demandes pour remettre sur pied la justice belge n’ont pas changé en 10 ans : des moyens budgétaires suffisants, mais aussi une véritable réforme du secteur pour assurer une meilleure gestion de la Justice avec les moyens existants.

La lettre remise à la ministre Verlinden est d’ailleurs accessible en ligne au public, afin de récolter les signatures des citoyens, qui subissent aussi le manque de moyens. Stéphane Gothot explique: “Nous (les avocats) sommes tous les jours confrontés au désarroi de nos clients qui, dans ce qui est souvent l’affaire de leur vie, attendent une solution judiciaire dans un délai raisonnable et qui ne l’obtiennent pas« .

La ministre de la Justice a fait des promesses de collaboration avec le secteur. Les membres de la délégation se montrent relativement satisfaits, même s’ils restent conscients que la prudence est de mise dans le contexte actuel. A l’heure du refinancement de la Défense, celui de la Justice pourrait être moins prioritaire.

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L’appareil photo, outil de rencontre

Mammouth - ven, 21/03/2025 - 14:44
Raconter en images les lieux de solidarité et les liens qui s’y tissent

Photo: Louise Joenen

De jeunes sœurs yéménites éclatent de rire dans les bras d’un couple palestinien accueillis au centre  Fédasil de Spa. Un chef pâtissier guide les mains d’un apprenti en situation de handicap sur une poche à douille dans la boulangerie inclusive Farilu. Dans la salle commune d’une occupation temporaire, les habitant·es du Rockin Squat préparent un repas communautaire sur base de produits de récup’. Des hommes en quête d’un avenir meilleur se forment à l’informatique dans un centre d’urgence de la Plateforme citoyenne BelRefugees. Sous un parasol installé dans la véranda du centre de jour Atoll, des personnes âgées viennent rompre leur solitude en entamant une partie d’UNO…

Toutes ces scènes de vie ont été immortalisées par quatorze étudiant·es de Master 1 en Presse Info lors d’un atelier photo sur des tiers-lieux à visée sociale. Encadré·es par la photojournaliste Marie Tihon et leur professeur de photo Laurent Poma, ils et elles étaient chargé·es de mettre en lumière des espaces de solidarité et témoigner des liens qui s’y tissent. Les consignes étaient simples : produire un reportage avec une approche constructive qui raconte une histoire en une série de photos. Cela passe par le choix d’un tiers-lieu et d’un angle bien précis, ensuite par des repérages, des interviews et  beaucoup d’observations en passant du temps sur le terrain. Une importance était particulièrement donnée à la démarche utilisée pour nouer des contacts, faire accepter la présence de l’appareil photo et créer des liens de confiance avec les personnes photographiées. Il suffit de jeter un œil à l’ensemble des productions des élèves pour se rendre compte que toustes ont réussi à sortir de leur zone de confort pour oser la véritable rencontre avec l’Autre. C’est avec brio qu’ils et elles ont pu s’immiscer dans des lieux de partage et rendre compte des bienfaits apportés par toutes les personnes qui font vivre ces structures. Les étudiant·es en ressortent plus riches de ces rencontres et ont désormais en leur possession un portfolio à proposer à des rédactions ou valoriser sur leurs réseaux.

Une sélection de ces projets sera diffusée en ligne tout au long des prochaines semaines sur Mammouth. Vous retrouverez des liens vers les reportages publiés ci-dessous:

  • « A la maison » de Louise Joenen montre les liens humains joyeux qui se tissent a centre Fedasil de Spa
  • « Un jour à la fois » de Matteo Andrianello raconte le quotidien doux et mélancolique des résident·es d’un home près de Nivelles.
  • « 28 jours de répit » de Lilou Vanderheyden témoigne du séjour de migrants, venus des quatre coins du monde, dans un centre d’accueil d’urgence à Anderlecht
  • « Après la nuit » d’Alexis Vercruysse nous emmène au Café Monde, à Louvain-La-Neuve, où des personnes en demande d’asile bénéficient d’un accueil de jour.

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Après la nuit

Mammouth - mar, 18/03/2025 - 16:38
Au Café Monde, à Louvain-La-Neuve, les réfugiés trouvent un accueil au-delà du seul hébergement

Il y a dix ans naissait à Bruxelles la Plateforme Citoyenne de Soutien aux Réfugiés, connue sous le nom de BELRefugees, en réponse à la mauvaise gestion de l’accueil des demandeurs d’asile en Belgique. Quelques années plus tard, en juin 2023, le Café Monde ouvrait ses portes à Louvain-La-Neuve.

Situé en plein centre, il offre aux migrants qui le souhaitent un espace pour souffler, se reposer, rigoler, jouer, discuter, se restaurer… après la nuit. Cet espace ouvert et solidaire privilégie la rencontre, la création de liens, le partage entre personnes de différentes cultures. Il est sans frontières. Anne-Catherine De Nève, coordinatrice de l’antenne du Brabant-Wallon de BelRefugees, se désole : « en Belgique, il existe bien peu d’initiatives pour pousser l’accueil des migrants au-delà de l’hébergement. » En créant le Café Monde, elle a voulu répondre à ce manquement.

Ici, les sourires rendent l’atmosphère agréable. La cuisine, partiellement élaborée à partir d’invendus de fruits, de légumes et de pain, dégage des odeurs de bien-être, de chez-soi. Le Café Monde n’a pas pour vocation de générer de profit. Il fonctionne selon un modèle de participation libre aux frais, tout le monde est le bienvenu, en contribuant selon ses moyens.

Au fil du temps, il est aussi devenu un lieu d’accompagnement social qui propose divers services : assistance sociale et juridique, cours de français et consultations psychologiques. Son fonctionnement repose sur l’engagement d’une quarantaine de bénévoles, épaulés par Anne-Catherine De Nève, seule salariée de l’équipe.

En somme, le Café Monde facilite les contacts entre des personnes présentes dans la région sans grande chance de se croiser : habitants du Brabant wallon, étudiants, sans-abri, migrants…

Dans ce petit lieu, de grandes histoires se croisent et de nombreux liens se créent.
Les visiteurs et les bénévoles se reposent, jouent, mangent ou travaillent dans un même espace. Tout le monde a la même place, la même importance. Le Café compte une quarantaine de bénévoles. Deux à trois fois par semaine, Seleh fait partie de l’équipe. Ce matin, il va acheter les pommes qu’il manque pour faire son “quatre quart habituel”. Dans l’Esplanade, il n’hésite pas à se plaindre du nouveau gouvernement : “tout sera encore plus compliqué qu’avant”, confie-t-il.
Seleh est apatride, il vient de l’île d’Abumusa, entre les Émirats Arabes Unis et l’Iran. Cela fait six ans qu’il attend de recevoir des papiers. Youness est Soudanais, ici, il fait partie des meubles. Il participe au projet depuis ses débuts. Comme la plupart des bénévoles, il attend toujours ses papiers. Cela fait déjà trois ans. Chaque samedi, un repas de midi est prévu. Mille parfums s’entremêlent, les bénévoles profitent de l’occasion pour faire goûter les saveurs de leurs pays.
Au menu pour aujourd’hui : houmous, soupe de lentilles, geema et kolau. Tout est prêt à être servi, les clients n’ont plus qu’à arriver. Hibiki est étudiant à Tokyo. Il a profité des vacances d’été de là-bas pour faire du volontariat ici. Il voulait faire des rencontres, nouer des liens. C’est chose faite : le voilà maintenant membre de la grande famille internationale des bénévoles du Café Monde. Il a entendu parler de BelRefugees et du Café via une plateforme en ligne de programmes interculturels : AFS. Entre deux parties de dominos, Daniel se replonge dans son rôle de bénévole. En fond sonore : le bruit des dominos que ses amis continuent d’abattre sur la table de jeu. Pas de temps à perdre ! La musique berce le café dès l’heure d’ouverture. Les découvertes sont infinies, la playlist a des airs de tour du monde.

Il n’y pas d’âges pour franchir la porte de ce petit coin de paradis, ce petit espace de tranquillité. Il n’y a pas d’âges non plus pour faire des rencontres. Les jeux de l’armoire suffisent à faire le pas.

Tout se partage et se fait ensemble : les plats du samedi midi comme les activités féministes du jeudi soir. Au milieu de tout, les jeux de domino continuent de régner en maître sur les petites tables rondes.

Youness et Hibiki profitent du temps de midi des étudiants pour aller leur distribuer des tracts du Café Monde. “C’est bien pour l’exercice”, me dit Youness avant de faire les cent pas, hésitant, timide. Parmi les bénévoles, Bénédicte joue un rôle clé. Quelques fois par semaines, elle donne des cours de français pour débutants. Dans une toute petite pièce transformée en salle de classe se mélangent Érythréens, Gazaouis, Yéménites et Soudanais. Au programme : les voyelles, puis l’inspiration du moment et les envies de chacun prendront le relais. D’une pierre deux coups : pour certains, le cours de français est aussi un cours d’anglais. Apprendre deux langues en même temps ne facilite rien mais détend l’atmosphère, tout le monde participe, tout le monde s’entraide. Quelques élèves assistent au cours depuis longtemps, bientôt ils pourront rejoindre un cours d’un niveau supérieur. Mohammed reste le plus proche possible de chez lui, à Gaza. Son téléphone ne le quitte pas, sa famille et ses amis non plus. Quand il est n’est pas en appel, il me montre les photos de sa galerie : beaucoup de filles, beaucoup de selfies, et puis beaucoup de photos “pour se souvenir”. Sa ville transformée en champ de ruines, son père mort, son frère mort… Douze migrants partagent cette villa de Louvain-La-Neuve. Sous des airs heureux et une ambiance joviale se cache beaucoup d’inquiétude. “Qu’est ce que je ferai quand je devrai partir ?” demande Mommin, un Gazaoui qui n’est là que depuis la veille. Ici, les résidents ne sont que de passage, six semaines maximum. Au milieu de la foire des kots-à-projets de l’UCLouvain, Abad, un des habitants de la villa, arbore fièrement son drapeau. Avec les autres, il crie: “Free, Free Palestine !” Des passants leurs répondent en criant plus fort, et leurs sourires grandissent jusqu’aux oreilles. Il n’y a plus que de la fierté dans leurs yeux, et de l’espoir.

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Matongé, hotspot à feu doux

Mammouth - lun, 17/03/2025 - 15:59

Immersion dans une zone de trafic de drogue à Bruxelles.

Photo: M. Tavares (Flickr)

Depuis mars 2024, Matongé figure sur la liste des « hotspots », ces zones de surveillance renforcée mises en place pour répondre à la vague de fusillades qui secoue la capitale. Mais ici, le trafic se joue à l’ancienne, en pantoufles, à ciel ouvert. Comment le quartier s’adapte-t-il au label « hotspot » ?

Je pensais encore au coup de fil passé à ma mère, la veille au soir. Je tenais mon téléphone blotti entre mon épaule et ma joue, prostré devant la porte béante du lave-linge de ma colocation et de son affichage digital qui proposait une longue liste de choix de programmes de lavage qui me paraissaient tous aussi abscons les uns que les autres. Si un jour je quitte le monde moderne, ce sera sans hésitation à cause des menus des télécommandes et des règles de lavage des lessiveuses automatiques. Au téléphone, ma mère commençait à fatiguer. Après m’avoir rappelé de ne pas oublier de ramener mon linge en revenant à la maison, elle m’avait aiguillé sur deux-trois axes d’enquêtes allant de l’interview en caméra cachée du consommateur de beuh au témoignage d’habitants confrontés au fléau des trafics en tous genres. Je réfléchissais à ses propositions et je notais qu’en bonne madre qu’elle fut, sa fatigue ne l’avait pas étourdie au point de ne pas oublier le point de vue qui me paraissait le plus évident : celui du trafiquant. Mais voilà, je suis étudiant en journalisme. Qui suis-je pour jouer les Roberto Saviano ?

– N’oublie pas ton linge.

– Non maman, je n’oublierai pas.

T’enregistres ce qu’on dit avec ton casque ? Va à Clemenceau, y a rien ici

Je remontais la chaussée d’Ixelles, ce long ruban d’asphalte qui relie la porte de Namur, à la lisière du Pentagone, à la place Flagey. Arrivé à l’angle de la rue Francart, le soleil dégagea une large bande de lumière. Il m’avait semblé ne plus avoir fait si clair depuis plusieurs années et je dus poser ma main sur mon front pour apercevoir la couleur du feu pour piéton. Les poussières de l’hiver s’échappaient du sol et montaient vers le ciel. Je fronçais les sourcils, plongé dans la poussière et mes pensées. Au passage du 21 chaussée de Wavre, dans le quartier congolais de Matongé, à Bruxelles, presque arrivé à destination du nid que je partageais avec une bande de colocataires peu connaisseurs en programmation de machine à laver, en relevant la tête, un jeune type me lança une invitation : « t’en veux ? »

L’homme qui se dresse devant moi a la vingtaine. Debout devant lui, moi, mon sac banane et mon mulet, n’avons eu la présence d’esprit que de dire : « Nous allons vous paraitre bizarre mais nous sommes journalistes ». À ce jour, je m’interroge encore sur le pourquoi de l’utilisation de ce « nous ». Nous l’appellerons André. Il partage avec une dizaine d’autres l’entrée de la Galerie Matongé, celle à coté du Parking sous-terrain, à dix pas du cinéma Vendôme et à trente du H&M, dans laquelle, le 6 janvier 2025, la zone de police Bruxelles Capitale Ixelles a découvert 818 grammes de cannabis, 85 pacsons de cocaïne, 42 grammes de résine de cannabis, 4 pilules d’ecstasy, un spray au poivre, une arme de type airsoft, des munitions et une arme à feu avec chargeur. Cinq jour plus tard, le 11 janvier au soir, une patrouille de police qui effectuait des contrôles au croisement de la rue Francart et de la chaussée de Wavre s’est retrouvée encerclée par une quarantaine d’individus qui sortaient de la Galerie, et a eu recours au gaz lacrymogène « pour maintenir l’ordre », a déclaré la porte-parole de la police bruxelloise Ilse Van de Keere, avant de dresser plusieurs procès-verbaux pour rebellions et possession de drogue.

Il est 11h30. La route, étroite, est à sens unique. Des employés de bureau en costume, les yeux écarquillés, serrent leur téléphone contre l’oreille en esquivant les piétons. Une femme à vélo, sac en bandoulière et panier en osier à l’avant, se fraye un passage entre les voitures à l’arrêt. Des clientes encombrées de sacs de courses roses fluo estampillés Sarah Mode ou Jinny’s Hair & Beauty discutent, voix qui roulent les r et autres qui les avalent, en remontant le trottoir.

Acheter de la beuh en plein reportage, c’est un problème de déontologie ?

André tient un diffuseur Bluetooth haut comme un poney et partage sa playlist autotunée à une bonne centaine de commerçants fatigués. Un vieil homme avec un chapeau assis dans le salon de coiffure Matonna, premier commerce accessible depuis l’entrée de la Galerie, relève sa tête et soupire en observant la party, replonge ses yeux sur son téléphone. Il y lit peut-être, étourdi, que la commune d’Ixelles a introduit la veille une demande officielle pour élargir le périmètre du hotspot de Matongé à la Porte de Namur. « Cette mesure permettra de mieux surveiller les points de vente de stupéfiants et de sanctionner plus efficacement les infractions », promet le bourgmestre ixellois Romain De Reusme (PS). Ou cet homme au chapeau est-il tombé par hasard sur un post X de Georges-Louis Bouchez reprenant, à l’évocation des récentes fusillades à Anderlecht, les éléments de langages de l’extrême droite des années 1930, déclarant que « la vermine gangrène #Bruxelles. Le Gouvernement Arizona va prendre les mesures pour nettoyer les rues. » 

Les « hotspots » sont ces mots à la mode que la presse rabâche depuis le début de la vague de fusillades qui ensanglante la capitale. L’ambition est de s’attaquer sans délai aux problèmes de trafics, de violences et surtout des règlements de compte à coups de Kalachnikov qui font tache jusque dans les colonnes du New-York Times et sur les antennes de CNN. En 2024, 89 fusillades ont eu lieues à Bruxelles, dont huit mortelles pour un total de neuf décès. 

  • Regardez aussi notre explainer sur les fusillades à Bruxelles

Dans ces zones, la vente et la consommation d’alcool sont interdites, la police peut faire des contrôles d’identité systématiques, faire percevoir immédiatement des amendes pour possession ou consommation de drogues, et saisir les objets qui facilitent la consommation.

André prend une gorgée de sa Gordon finest gold à 10% et s’assied sur une chaise de bureau en cuir à même le trottoir. Probablement intrigués par la durée inhabituelle de l’interaction, deux autres hommes du même âge s’approchent de moi. « Pourquoi t’es venu ici ? », me demande André, une fois bien installé.

– J’ai vu que Matongé était un « hotspot. »

– C’est quoi ça ?

– Les zones de trafic les plus chaudes de Bruxelles.

André se redresse, cale son dos contre le dossier de sa chaise et tourne la tête vers le groupe. Il annonce que je suis journaliste et que je travaille sur le narcotrafic. Un court silence s’installe. Tous me regardent. Je soutiens leurs regards un à un. Puis les questions fusent. « Pourquoi ici ? », « T’enregistres ce qu’on dit avec ton casque ? Va à Clemenceau, y a rien ici », balance un type, l’air excédé.

Le quartier de Clemenceau dont parle cet homme, à Anderlecht, est le théâtre d’une série de représailles entre gangs liés au trafic de drogue. Entre le 4 et le 7 février, quatre fusillades ont éclaté dans la capitale : une à Saint-Josse, trois à Anderlecht. La réponse politique ne s’est pas fait attendre. Le gouvernement Arizona, qui a annoncé un refinancement de 400 millions d’euros pour les fonctions régaliennes de l’État d’ici 2029, prévoit de passer à l’offensive. Parmi les mesures avancées : la déchéance de nationalité pour les binationaux impliqués dans le crime organisé, la fusion des six zones de police bruxelloises et un durcissement des peines pour les chefs de réseau. « Nous ne laisserons pas nos rues aux mains de bandes criminelles », déclarait la ministre de la Justice Annelies Verlinden le 7 février dans L’Écho. Tandis qu’une carte blanche signée par 28 acteurs de l’associatif bruxellois parmi lesquels Christopher Collin (DUNE), Edgar Szoc (Ligue des Droits humains), Stéphane Leclercq (Féda bxl), et Birger Blancke (Fédération BICO), s’opposait à la politique des hotspots, dénonçant une « stratégie au nom de laquelle le droit commun est suspendu et contribue à aggraver le sort des plus précaires », et concluant : « Pour affaiblir durablement le narcotrafic et ses nuisances, la priorité doit enfin être donnée à la santé publique et à des réponses concertées avec le secteur professionnel. »

Un autre gars me demande si je fume. « Prends un dix avant de poser des questions, c’est la moindre des choses. » Le groupe éclate de rire. Je repensais à mon linge et j’étais très pris par une idée qui ne me lâchait plus. Comment allais-je me débrouiller pour prendre le train avec une manne de linge et mon vieux sac sans perdre la moitié en route ?

André ne dit rien. Il me fixe, les bras croisés, puis me demande : « acheter de la beuh en plein reportage, c’est un problème de déontologie ? « Je cherche quoi répondre quand un autre gars sort de la galerie. André désigne immédiatement cet homme qui serre la main à toute la bande et me dit d’aller lui parler. Il a la trentaine, un bonnet bleu foncé, une parka noire et une sacoche en bandoulière. André me présente rapidement : je suis journaliste et… Le gars coupe André et me somme de poser toutes les questions qui me viendraient à l’esprit et insiste pour que je filme et enregistre ses propos. 

Nous, on deale, on se fait prendre, on va en prison, on sort. C’est tout. Eux, ils sont libres mais devront rendre des comptes à Dieu 

On l’appelle Pirate. Pirate a curieusement envie de parler. D’histoire, de politique, du Congo et de la Belgique. « Ils ont pillé notre pays et maintenant ils nous laissent crever. » Il navigue dans la galerie, connaît les moindres recoins. Soudain il décide de m’emmener avec lui pour une croisière sur un morceau de sa vie. C’est ici qu’il passe la plupart de son temps. Dans les rangées et les couloirs de la galerie commerciale qui s’étendent sous nos yeux. Notre embarcation temporaire parcourt les allées comme on descend un fleuve. Son fleuve à lui serpente entre le coiffeur du box 313, WE2B Hair, et trace une boucle parfaite. On y accède par la Chaussée d’Ixelles ou celle de Wavre, deux entrées qui se répondent et s’entrelacent. Un sifflement discret et, soudain, ceux qui traînaient dehors glissent vers l’intérieur. On avance et on sourit, on salue, généreusement, les personne alentours. Tout le monde se connaît ici, et personne ne doute une seconde du caractère illégal de son activité. Dans les yeux des personnes que nous croisons, je suis sans doute un client.

Au milieu de l’allée principale, entre les six salons de coiffure, sous les néons fatigués et sur le pavé jauni taché de Jupiler séchée, Pirate sort des petits paquets de sa sacoche, les glisse en douce dans la poche d’un passant, rigole et câline une cliente ou une revendeuse, reprend la conversation avec moi comme si de rien n’était. L’odeur de la beuh se mêle à celle des beignets frits du restaurant antillais Sous les tropiques. Il soupire, remet son bonnet en place. « Je joue le rôle de grand frère ici. Grand frère, ça veut dire tout : éducateur, formateur, médiateur, aide sociale, protecteur… Les types à l’entrée ont 19-20 ans, il faut leur apprendre ce qui est bien et mal. »

Pirate a vaguement entendu parler des hotspots. « On compare Matongé à Clémenceau, rigole-t-il, c’est complètement insensé. Il n’y a pas de fusillades ici. On survit simplement. Chacun fait son truc en indépendant, y a parfois quelques embrouilles mais y a pas de grosse organisation, pas de règlements de compte. Je lui demande si quelque chose a changé dans l’organisation du trafic depuis la mise en place de ces zones : « Rien. » 

Pas plus de difficultés ?

Non. D’ailleurs, c’est bien hypocrite leur politique de hotspot. C’est le client qui vient vers nous, pas l’inverse. Et parmi les gens qu’on sert, y a des avocats, des mecs en costumes, des enfants de riches. Au dessus de ceux qui vendent des 10 balles comme moi, y a des gens qui vendent en plus gros, et je t’assure que ceux qui achètent au kilo sont les mêmes qui parlent d’insécurité. Si ils veulent régler le problème du trafic, ils ont qu’à s’attaquer au Port d’Anvers.

Sa réponse fait écho à ce que d’autres me diront par la suite : les rares personnes au courant de l’existence des hotspots assurent qu’ils n’ont eu aucun effet sur leur activité. Au bout d’une heure et demie de discussion, Pirate me fait poliment comprendre qu’il est temps pour moi de partir. À quelques mètres de la rue d’Édimbourg, un type sur le trottoir m’interpelle avec un « kssst », ce petit bruit de bouche qui signifie « viens voir » dans à peu près toutes les langues du commerce parallèle. Je lui explique que je ne suis pas un client potentiel. Il m’a vu parler à Pirate, s’apprêtait à prendre sa pause et me propose de le suivre jusque dans la Rue Longue Vie, aux abords du Snack Délice, où il s’arrête, s’assied sur un scooter et roule un joint. Il doit avoir une trentaine d’années, un jean, une veste grise et un foulard noir, et se présente en me disant qu’il n’a pas grand chose à perdre. C’est Bernard. Lui non plus n’avait jamais entendu parler de hotspot. « Tu ne te caches pas pour fumer ? » 

« Je ne me cache même pas pour vendre. De toutes façons, je n’ai que des factures, des dettes. Les vrais voleurs, ce sont les gens en costume cravate. Nous, on deal, on se fait prendre, on va en prison, on sort. C’est tout. Eux, ils sont libres mais devront rendre des comptes à Dieu », dit-il en rigolant.  

On a peur que ça devienne comme Clemenceau

Bernard tire une dernière taffe, écrase son joint sous sa semelle, et reprend tout aussi impassible : « Ici, c’est le désordre. Et c’est bien mieux comme ça. Quand il y a des structures, comme à Anderlecht, que le trafic est organisé par des mafias, tu dois faire attention à tout. Quand les gens comprennent que c’est organisé, il suffit qu’une personne se fasse prendre et tout tombe. L’avantage, à Matongé, c’est que c’est presque pas organisé, donc c’est difficile de nous faire tomber. Ça n’empêche pas qu’il y ait de la solidarité entre nous. » Il s’éloigne en promettant de revenir plus tard. Je lui propose de l’accompagner. Il hésite, puis fixe l’heure du rendez-vous : 22h.

Je reviens pile à l’heure. Sous les lumières blafardes des enseignes qui crépitent, l’asphalte semble plus noir, plus dense. Les vitrines grillagées des boutiques sont autant de paupières mi-closes derrière lesquelles persistent des lueurs diffuses. Ça fume par grappes devant les salons de coiffure encore ouverts. Dans les rues adjacentes, des ombres bougent lentement, appuyées contre les murs. Je croise une habitante du quartier. Elle évite désormais de passer ici trop tard. « J’ai assisté à l’assassinat de Micha. Ils l’ont poignardé sous les yeux des passants. On a peur que ça devienne comme Clemenceau. » L’homme de 41 ans était décédé après avoir reçu plusieurs coups de couteau, chaussée de Wavre, le 18 juin vers 17h45. Plus loin, une autre femme, assise devant son salon de beauté, hausse les épaules en tirant sur sa cigarette. Elle rit en évoquant l’idée que Matongé soit classé hotspot. « Franchement, faut arrêter. On parle de quoi, ici ? On compare ça à Molenbeek ou à Clemenceau, mais Matongé, c’est pas ça. Il y a toujours eu du monde, toujours eu de l’animation. Y a du petit trafic, mais on ne se sent pas en danger. Le hotspot, c’est juste une excuse pour mettre plus de flics et rassurer ceux qui ne connaissent pas le quartier. Moi, je vois pas la différence. » 

Bernard est appuyé contre un poteau là où je l’avais rencontré. Le shift a repris depuis une heure. Il m’explique qu’il a le luxe de choisir ses horaires, puis revient sur le sujet du hotspot sans que je n’aie à relancer la conversation : « J’ai repensé à ce délire du hotspot. Pourquoi ils ont donné un nom anglais à ce truc-là ? » Derrière lui, une berline noire ralentit et s’arrête quelques mètres plus loin, moteur allumé, phares éteints. Bernard jette un coup d’œil rapide, décroise les bras et s’approche. Une vitre descend à moitié. Il échange quelques mots à voix basse, glisse la main à l’intérieur, puis revient vers moi. À peine le temps de reprendre la conversation qu’un type en survêtement s’approche et tend la paume. Bernard sort une liasse froissée de sa poche, détache quelques billets et les lui donne sans attendre un merci. Un autre arrive, pose la même demande. Une voiture de police traverse la rue, ses phares balayent le trottoir. Cette fois, il soupire, compte les billets plus lentement. 

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Bruxelles sur le podium des fusillades, avec Naples et Marseille

Mammouth - lun, 17/03/2025 - 14:45
Pourquoi les fusillades se multiplient à Bruxelles

Tu savais que Bruxelles occupe la deuxième place du classement des fusillades en Europe derrière Naples en 2024 ?
Depuis quelques temps, les attaques à l’arme automatique se sont multipliées dans la capitale. On te donne quelques explications pour mieux comprendre le phénomène.

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Au centre Fedasil de Spa, c’est comme à la maison

Mammouth - ven, 14/03/2025 - 12:57

Crédit Photo : Louise Joenen

Chaque année, des dizaines de milliers de personnes demandent l’asile en Belgique. Nombreux passent d’abord par le centre d’observation du Petit Château à Bruxelles, un lieu où les évaluations sociales et médicales prennent place, et où la question du droit à l’accueil est tranchée. Mais ce n’est qu’une première étape. Les plus chanceux sont transférés au centre Fedasil à Spa, un ancien hôtel transformé en refuge pour ceux qui ont tout perdu.

Loin de l’agitation des grandes villes, ce centre isolé dans la nature offre une ambiance calme et paisible. Accueillant près de 450 demandeurs de protection internationale, il est un havre pour les familles, en particulier celles avec de jeunes enfants. Les murs blancs résonnent de leurs pas, les couloirs sont envahis de poussettes et de vélos, des symboles de la vie familiale qui reprend peu à peu ses droits.

Chaque jour raconte une nouvelle histoire, tissée entre les résidents, les travailleurs et les bénévoles. Dans ce lieu d’accueil, la solidarité se manifeste à chaque instant. Les familles Albayouk, Abdurrahman et Alameer ont noué des liens forts, leur permettant de tout doucement appeler ces murs blancs “maison”, et de considérer leurs voisins comme des membres de leur famille.

“Quand on a dû fuir notre pays, on a rien pu emmener avec nous. C’était la guerre.”

Awada, 17 ans, a dû fuir le Yémen avec sa famille il y a plusieurs années, accompagnée de sa mère, ses trois soeurs et ses deux frères. Leur périple a été long avant de finalement arriver en Belgique, il y a un an et huit mois.

Awada, elle, a la bougeotte. Elle ne manque aucune activité et passe ses journées à courir d’un bâtiment à un autre pour papoter avec les travailleurs et les bénévoles. Elle connait le centre et ses environs comme sa poche. C’est à l’intérieur de ces murs blancs qu’elle se sent à la maison.

A l’intérieur de la chambre familiale, Rina et ses sœurs s’occupent constamment du petit Zayn. Il n’est pas à l’aise dans l’appartement de sa maman Needa, il ne fait que pleurer. Elles s’occupent de le nourrir, de lui changer la couche ou encore de l’endormir. Rina se demande comment il va faire quand elles ne seront plus là.

Zayn a 6 mois. Il est né ici, en Belgique. C’est un peu le bébé de tout le monde au centre. Sa maman, Needa, fait entièrement confiance aux voisins.

En Palestine, Needa était une grande cheffe. Au centre, ce n’est pas le manque de matériel qui l’empêche de préparer de bon petits plats à tous ceux qu’elle aime. Mohanad lui, a trouvé du travail à Anvers, où il prépares des kebabs. Cela lui a couté une blessure à la main, mais c’est chaque weekend le sourire aux lèvres qu’il repart à son travail.

Cela fait 10 ans que Needa et Mohanad sont mariés. Leur amour est flamboyant. En Palestine, il est courant pour un homme d’avoir plusieurs femmes. “S’il osait aller voir ailleurs, je le tuerait.” confie Needa.

“Tout le monde l’appelle bébé qui pue parce qu’il a tout le temps du vomi sur lui” raconte Adwaa en riant. Assise sur un banc dans la cour du centre, Needa se perd dans ses photos de famille. Elle a dû laisser ses enfants là-bas, avec leur grand-mère. La plupart de ses frères, sœurs, nièces et neveux sont morts suite aux nombreux bombardements qui ont touché le pays. Sa famille lui manque énormément. Cela fait un an que les familles Abdurrahman et Alameer sont voisins au centre. Une année rythmée par une nouvelle naissance qui a beaucoup rapproché les deux familles.

“Tu viendras nous voir dans la nouvelle maison ?” murmure la petite Adwaa.

“Madame Sophie je l’adore, et sa fille c’est ma meilleure copine, on joue souvent ensemble” Awada, 17 ans, dans le bureau de Madame Sophie.

Ilham et Sara, les soeurs somaliennes, adorent commander des vêtements et ouvrir leurs colis avec leurs copines. Dans la chambre, ça part toujours en fou rires lors des essayages. “Tu viendras nous voir dans la nouvelle maison ?” murmure la petite Adwaa. La chambre des Yéménites est toujours bien animée. Du matin au soir, entre les copains des enfants, les parents du petit Zayn et les bénévoles, il y a du passage.

Lorsqu’il est l’heure du repas, tout le monde doit prendre son badge pour aller à la cantine. Cela permet de vérifier que tout le monde est au centre et que personne ne part travailler en “cachette”. Lorsqu’un adulte trouve un travail, il doit donner une compensation au centre.

“Comme on a beaucoup d’espaces verts, on a beaucoup de familles avec des enfants qui viennent ici.” Pierre-Yves, bénévole au centre Fédasil.

Juste devant l’accueil se trouve un grand terrain basketball. Les filles s’arrangent toujours pour être avec monsieur Antonin, un bénévole, pour augmenter leurs chances de gagner.

Khadra et Ilham ont 15 ans. Elles se sont rencontrées au centre il y a un an et quatre mois et depuis, elles ne se lâchent plus.

Ce mercredi après-midi a eu lieu une séance d’information aux droits des jeunes. Sophie et Catherine sont venues apprendre aux filles les différents droits qu’elles possédaient en tant que mineures, et un atelier de dessin s’en est suivi. Awada, elle adore apprendre. Plus tard, elle aimerait devenir professeure de français.

Des cuisines sont à disposition sur réservation. Cela permet à chacun de cuisiner librement dans un espace plus spacieux que les dortoirs. Souvent, les gens ne respectent pas ces horaires et Awada doit attendre longtemps avant de commencer à cuire, mais cela ne l’embête pas. C’est rare qu’il fasse beau, alors quand le soleil pointe le bout de son nez, tout le monde en profite pour faire sécher son linge sur la haie. Dans deux semaines, Awada et sa famille s’en vont. Ils ont trouvé une maison à Spa, ça veut dire qu’elle pourra toujours venir rendre visite à ses amis et aux travailleurs. C’est ça qui lui manquera le plus ici. Dans le hall d’entrée, ses pleurs se font entendre. Faten, arrivée au centre avec ses trois enfants il y a deux semaines, s’autoproclame maman de tout le monde. Quand elle voit que quelqu’un est seul au centre, elle l’accueille toujours à sa table. “If you are alone, no problem ! I say come to mama!” crie-t-elle le sourire aux lèvres. Cette mentalité lui a permis de se rapprocher de beaucoup de personnes en très peu de temps. Ahmad, 30 ans, se sent bien ici. Cela n’a pas toujours été le cas. Après avoir quitté la Syrie il y a quelques années, il a vécu en Roumanie avant d’arriver en Belgique. Il lui a ensuite fallu vivre plusieurs mois à la rue avant d’être accepté dans le centre. Il fait partie des “enfants recueillis” de Faten, avec qui il partage de nombreuses chichas sur sa terrasse. Il adore passer du temps avec Nutella, la plus jeune fille. Faten et ses enfants, palestiniens ayant vécu toute leur vie à Dubaï, sont arrivés il y a deux semaines. Ce jour là elle célébrait les 16 ans de sa fille Retal. “C’est ennuyant de rester dans sa chambre, il faut profiter de l’extérieur et des espaces qui sont à disposition, c’est pour ça qu’on a demandé à organiser une fête ici” raconte-elle en découpant le gâteau.

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Un jour à la fois

Mammouth - jeu, 13/03/2025 - 12:49
En immersion dans une résidence pour séniors

Photo: Matteo Andrianello

Que se passe-t-il dans la vie d’une personne âgée ? Souvent, les réponses à cette question sont accompagnées d’un désintérêt, comme si, passé un certain âge, nous devions tomber dans l’oubli. Dès lors, que devient-on quand on a déjà été ?

Aux Bons Villers, situés entre Charleroi et Nivelles, la Résidence-service Champ de Saucy offre aux personnes âgées la possibilité de s’alléger des tâches du quotidien tout en conservant une certaine autonomie. Ces séniors qui composent les 27 appartements de la résidence ont entre 70 ans et 90 ans. Comme le confie Christiane : “ ici, on prend les jours un à la fois.” Dans ce lieu, on se crée de nouvelles habitudes et on vit au jour le jour avec les difficultés que nos ainés doivent affronter. Tout cela, en renouant avec une sociabilité parfois mise à mal à cet âge.

La résidence trône dans une rue calme composée de quelque habitations. Le premier supermarché se trouve à 20 minutes à pieds. La salle à manger est le principal lieu de vie de la maison. Elle accueil les repas du midi et les différentes activités. Françoise écrit chaque jour le menu qu’elle s’amuse à disposer sur les tables. Claudine mange seule car elle ne supporte pas le bruit. Elle en profite pour lire la presse locale, toujours très attachée à sa ville natale de Phillipeville. En arrivant au dîner, ceux qui se déplacent à l’aide d’un déambulateur le laissent à l’entrée de la pièce. Florent possède une collection de plus de 300 CD qu’il a mit a disposition de tous. Autoproclamé DJ de la résidence, il se lève de sa chaise à chaque repas pour mettre de la musique. Les appartements sont décorés selon les goûts de chacun offrant aux résidents l’opportunité de se sentir complètement chez eux. Clément à pratiqué l’équitation pendant plus de 40 ans et a conservé bon nombre de souvenirs. Depuis sept ans à la résidence, Clément a accroché des photos des anciens résidents qu’il a côtoyé et qui sont décédés. “J’ai eu une opération à cœur ouvert à Mont-Godinne.” Le passé de Georges ne l’empêche pas d’aller marcher tous les matins, seule une météo capricieuse pouvant le faire rentrer plus tôt. François, lui aussi, est un adepte de la marche. Entre le potage et le plat, il se remémore avec Georges un parcours au Portugal. Pendant les heures creuses, les couloirs ne sont animés que par quelques promenades de résidents et les va-et-vient du personnel. Lorsque certains décident de se promener, la destination est souvent la porte d’entrée pour aller prendre l’air, comme ici avec Yvette (à gauche) et Josette (à droite). Les jours où la coiffeuse est là, le salon de coiffure, situé dans l’un des couloirs du rez-de-chaussée, devient un lieu très prisé. Josette, Marie-Louise et Lisette (de gauche à droite) se sont rencontrées dans la résidence et forment un trio qui ne loupe quasiment aucune activité, l’occasion de passer de bons moments ensemble. À chaque atelier tricot, Lisette, qui ne sait pas tricoter, apporte l’eau et le café pour ses copines. La résidence se décore en l’honneur des fêtes du calendrier. Elle se prépare dès à présent pour le Carnaval, qui arrive dans quelques jours.

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Arsène Burny, une vie passionnée et passionnante

Mammouth - jeu, 13/03/2025 - 12:38
A 91 ans, le chercheur belge continue à vouloir faire progresser la science

Photo : Charlotte Simon

« J’ai toujours gardé l’amour des premières expériences scientifiques ». À 91 ans, Arsène Burny continue de mener une vie riche de découvertes et de dévouement. Chercheur, professeur et ancien président du Fonds de la Recherche Scientifique (FNRS), il a consacré sa carrière à la science et à l’éducation. Dans cet entretien, il revient sur son parcours et ses combats pour la recherche.

Qu’est-ce qui vous a motivé à devenir chercheur ? 

Tout petit, je voulais comprendre les choses qui m’entouraient. J’étais fils d’agriculteur. Ma motivation était alors de comprendre ce qu’il se passait dans les champs de mes parents quand on les ensemençait en septembre, octobre, pourquoi en cas de gel, en hiver, tout mourait…

Durant votre carrière, y-a-t ’il une découverte dont vous êtes particulièrement fier ? 

J’ai toujours gardé l’amour des premières expériences scientifiques que j’ai faites avec un collègue. Nous avions découvert le premier ARN messager. Il s’agit d’une molécule qui copie les instructions contenues dans l’ADN pour les transporter jusqu’aux « usines » » de la cellule, où elles sont utilisées pour fabriquer des protéines. À l’époque, mon collègue et moi étions deux jeunes chercheurs à l’Université de Bruxelles. Ensemble, nous sommes entrés dans le détail de la biologie moléculaire en isolant ce « messager », en allant du très vaste au très précis. Nous étions les premiers, au monde, à réussir à isoler cette molécule si importante.

Quelles aptitudes sont essentielles pour un chercheur ?

Les qualités requises aujourd’hui pour un chercheur sont les mêmes que celles attendues depuis toujours. C’est la persévérance, le courage, la lucidité et l’intelligence évidemment. Le fait de ne pas se décourager fût vrai en tout temps et est encore vrai aujourd’hui. Il faut toujours se dire : « j’ai raté, où est-ce que ça a pu clocher ? »  Cela permet d’identifier tous les endroits où le chercheur  n’a pas fait attention. En recherche, de telles situations se produisent assez fréquemment. La nouvelle génération est très impressionnante, notamment grâce aux moyens dont elle dispose aujourd’hui par comparaison à ceux que j’ai connus. 

Vous parlez de persévérance, avez-vous le souvenir d’un moment où elle a payé ? 

La persévérance a payé de multiples fois, parce qu’il ne faut pas s’imaginer le métier de chercheur comme étant facile, où on ne reçoit pas des gifles fréquemment. On se dit : « oh, voilà une molécule qui a l’air très intéressante ». On pense mettre la main sur un lingot d’or, et en fait, le lingot d’or se transforme en lingot d’argent ou d’argile. Il est important de rappeler aux jeunes chercheurs que la recherche fonctionne ainsi : des moments de grande réussite, comparables à des pics étroits qui montent très haut, suivis d’une déception. Cela fait partie du métier.

Il reste énormément à faire. 

Arsène Burny Vous êtes aussi une figure incontournable du Télévie. Comment êtes-vous arrivé dans cette aventure caritative et télévisuelle ? 

En 1988, Jean-Charles De Keyser qui présentait le journal de RTL vient au Fonds National de la Recherche Scientifique, où un peu par hasard, j’y avais remplacé mon patron qui terminait sa carrière. Je suis ainsi devenu vice-président d’une commission de cancérologie. Je me souviens encore des paroles de Jean-Charles.  « Je deviens directeur général d’une compagnie de télévision qui s’installe en Belgique francophone. Je cherche une émission qui soit populaire mais intelligente. Je ne veux pas un truc qui abrutisse les gens. Avez-vous une idée pour moi ? ». Un ministre nous dit alors : « une émission sur la recherche scientifique, ça n’intéresse personne ». De Keyser lui répond : « oui, mais ce qu’on n’a pas fait, c’est le faire savoir. Il faut non seulement faire les choses, il faut aussi les faire savoir. Nous, compagnie de télévision, nous allons les faire savoir ». En décembre 1988, la décision est prise de lancer le Télévie en avril 1989. C’est ainsi que, depuis 35 ans, je suis impliqué dans cette aventure.

Il ne faut pas prendre les gens pour des imbéciles.

Arsène Burny Pourquoi la diffusion des connaissances scientifiques au grand public est-elle toujours essentielle aujourd’hui ? 

Parce qu’il ne faut pas prendre les gens pour des imbéciles. Il est essentiel de s’adresser à eux dans un langage qu’ils comprennent. Sinon, ils se disent : « c’est un type qui veut nous faire croire quelque chose ». Toutes les disciplines sont explicables à condition de les maîtriser. Utiliser un langage simple et compréhensible par ton interlocuteur est indispensable, sinon tu perds ton temps.

Si vous deviez recommencer votre carrière, feriez-vous les choses différemment ? 

Non, je pense que je ferais la même chose. Je pense ne pas avoir perdu mon temps à faire des études d’ingénieur agronome. Ce parcours m’a donné une vue très vaste de beaucoup de problèmes.

Quels sont les aspects de votre travail qui vous enthousiasment toujours ? 

Aujourd’hui, j’ai 91 ans. Je ne suis plus capable de travailler en laboratoire, de demander de l’argent à qui que ce soit. D’ailleurs, je ne recevrais rien car on me dirait que je suis trop vieux (rires). Alors qu’aux États-Unis, à 80 ans, tu peux solliciter des fonds auprès du National Institute of Health et tu en obtiens. Si ton projet est solide, personne ne te demande ton âge, ils s’en moquent. Ainsi, aujourd’hui, je me consacre à la lecture des meilleures revues scientifiques. J’analyse les informations essentielles que j’envoie ensuite à mes contacts travaillant au Télévie, qui disposent de bien moins de temps que moi pour se tenir informés des avancées dans le domaine. Or, il est crucial de rester informé pour ne pas prendre des directions qui manifestement ne sont pas bonnes.

Vous n’avez pas envie de prendre votre retraite ? 

Non, non ! Il y a des tas de choses qu’on ne maîtrise pas. La médecine est pleine de maladies contre lesquelles on ne sait pas faire grand-chose, de cancers qui sont encore mortels. Quand un médecin vous dit que vous avez une tumeur du cerveau, dans 9 cas sur 10, c’est mortel. Il reste énormément à faire. 

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