Agrégateur de flux

Trooz à la recherche de ses habitants perdus

Mammouth - ven, 04/10/2024 - 11:21
Dans la vallée de la Vesdre, une commune veut se repeupler

Crédit photos: Océane Vermeiren et Louise de Vuyst

Suite aux inondations de 2021, un peu moins de 500 habitants sur les 8.300 que comptait Trooz ont dû quitter la commune et ne sont pas revenus. Le départ de ses riverains fait, aujourd’hui, partie des enjeux des élections communales qui se dérouleront le 13 octobre prochain.

Un tronc d’arbre au milieu d’une salle à manger, une maison peinte de boue et des vitres cassées. C’est devant ce tableau que la commune de Trooz se réveille chaque matin. Une commune qui peine à retrouver son charme et qui vit avec un creux laissé par le départ d’une partie de la population après les inondations de juillet 2021.

Une maison de Trooz abandonnée, détruite par les inondations de juillet 2021 et qui présente toujours ce visage 3 ans après les événements

« Moi, c’est la maison qui m’a jeté dehors »

Quand Cécile retourne sur place, ce sont les bruits assourdissants des alarmes et les odeurs nauséabondes qui la replongent dans la soirée de ce mercredi d’été 2021. « C’était la guerre« , nous confie-t-elle. Plongées dans le noir, Cécile et sa famille observent les briques des maisons d’en face. Une manière de mesurer le niveau de l’eau ainsi qu’une occupation pendant de longues heures d’attente, piégés dans leur maison.

Des voitures sur les toits et des militaires qui s’activent. Ces scènes qui semblent sorties d’un film de guerre, Cécile a décidé de s’en défaire. Pour elle, le traumatisme des inondations est encore trop présent. « Avant, quand je rentrais dans ma maison, c’était mon cocon, je me sentais en sécurité« , nous raconte-t-elle. Aujourd’hui, c’est une tout autre réalité, qui l’a poussée à déménager.

Cécile Dumont, sinistrée pendant les inondations de 2021, a quitté Trooz

Cécile n’est pas la seule à avoir dû quitter la commune, et à ne plus vouloir revenir. La commune a fait face à de nombreux départs d’habitants. La vallée entière sous les eaux, beaucoup de maisons n’étaient plus habitables. À Trooz, pas moins de 2.000 maisons sur les 4.000 de l’entité ont été touchées. « Personne n’aurait su gérer une telle crise, que voulez-vous faire dans une telle situation« , nous explique Cécile. Pourtant, aujourd’hui, l’impact des inondations est un véritable enjeu dans la campagne des élections communales.

Comment repeupler Trooz ?

Entre 2021 et 2022, la commune a perdu plus de 500 habitants, mais su la population a légèrement remonté en 2024, repassant la barre des 8000 personnes. Il faut retourner à 2011 pour avoir de tels chiffres de la population à Trooz.

Le bourgmestre de Trooz, Fabien Beltran (PS), présente de nombreux projets sur sa table. Nouveau stade de foot, pôles touristiques ou encore rénovations d’écoles, les ambitions sont grandes. Des subsides sont indispensables et le bourgmestre en est conscient.

Le bourgmestre de Trooz, Fabien Beltran (PS), a de nombreux projets pour attirer de nouveaux habitants.

C’est au travers d’appels à projet qu’il espère mettre en œuvre tous les plans de reconstruction. Selon lui, la faible dette de la commune peut également permettre de plus larges investissements. Le bourgmestre nous livre les grosses dépenses déjà faites. « Une année normale, on dépense 1 million d’euros. Ici, en trois ans, on en a dépensé 15 millions« , nous explique Fabien Beltran, « on a déjà fait plein de choses, mais ça prend du temps« .

Une gestion de crise d’ampleur, qu’Olivier Debor (MR) n’hésite pas à remettre en cause. « Ils sont partis dans un trip un peu mégalomane avec des projets pharaoniques« , nous explique le candidat de l’opposition, « avec tous ces nouveaux bâtiments, on pourra bientôt faire les JO« . Le parti espère surfer sur la vague bleue de juin 2024 pour atteindre ses objectifs : mettre ces grands projets à l’arrêt et reprendre la gestion à zéro. Il souhaite redéfinir les priorités de construction.

De nombreux quartiers nécessitent encore des travaux, comme le quartier de la Brouck, un quartier ouvrier qui a été fortement impacté et abandonné. Plus loin dans la vallée, un lotissement de logements sociaux se prépare à être remplacé par des zones non-habitables, dites zones tampons. Une autre mesure de prévention est celle des bassins d’orage. Olivier Debor (MR) encourage l’investissement dans ce projet, mais ce dernier laisse le bourgmestre un peu plus sceptique. Ces bassins pourraient en effet réceptionner des plus petites quantités d’eau, mais n’auraient pas supporté l’ampleur des inondations connues en 2021.

Sur les hauteurs, le nombre d’habitants continue d’augmenter, mais la vallée peine à se remplir. Pour le bourgmestre, Trooz est une ville vivante pour toutes les générations. Il met en avant de nombreux clubs de sports, des plaines de jeux dans chaque quartier et des activités pour les personnes âgées. De quoi s’y retrouver pour toute la communauté.

Néanmoins, Olivier Debor soulève qu’il faut rendre le centre plus sexy. Il pointe les nombreux commerces abandonnés, sur le bord des routes, un night shop délabré et quatre maisons de suite inhabitées. Selon lui, faciliter les permis d’urbanisme pour le changement d’affectation des bâtiments mixtes est une nécessité.

Venir habiter à Trooz a un coût, car à présent, tous les bâtiments doivent être hydrauliquement neutre, ce qui fait augmenter les prix dans le domaine de la construction. Les partis politiques de la ville veulent inciter les riverains à s’occuper de leurs habitations endommagées, car cela permettrait d’attirer de nouveaux habitants. Même si les tentatives de rendre la commune attrayante sont présentes, au vu des recherches scientifiques, Trooz ne restera pas à l’abri de nouvelles inondations. La revitalisation de cette commune sinistrée formera un enjeu de taille pour la prochaine législature, au-delà du résultat électoral.

Cet article a été co-publié avec le journal L’Avenir

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Faux taxi, vraies victimes

Mammouth - lun, 09/09/2024 - 20:43
Quels parcours judiciaires pour les victimes de violences sexuelles ?

Justice à Guichet Fermé (CC BY ND)

TW : agression sexuelle

Avec documentaire « Faux taxi, vraies victimes » (mémoire médiatique 2023), le public est mis face à ce que peuvent vivre les victimes de violences sexuelles qui décide de se tourner vers le monde judiciaire pour tenter d’obtenir justice.

Durant une vingtaine de minutes, ce sont des interventions de professionnel·les mais surtout les témoignages d’Alice et Marine, toutes deux violées par le même homme, qui portent cette réalité à l’écran. Leur violeur commun a également agressé d’autres femmes entre 2016 et 2019. Il avait pris l’habitude de se faire passer pour un chauffeur de Taxi/Collecto. En 2019, au moment où un message publié sur ULB Confessions fait le tour des réseaux sociaux, l’affaire devient finalement connue du grand public et le dossier s’accélère.

S’il y a autant de parcours judiciaires qu’il y a de victimes, la mise en lumière des vécus d’Alice et Marine permet de mettre le doigts sur certaines failles qui persistent en Belgique concernant la prise en charge et les gestions des cas de violences sexuelles.

« Faux taxi, vraies victimes » a été diffusé le 24 octobre 2023 sur TIPIK ainsi que sur BX1 le 29 juin 2024. Il a remporté le prix Belfius de la presse 2023 dans la catégorie Jeunes talents.

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Squat : de la nécessité financière au choix de vie

Mammouth - ven, 06/09/2024 - 13:34
A Bruxelles, squat n’est pas forcément synonyme d’insalubrité

Crédit photo: Elise De Koninck

Dans l’imaginaire collectif, la pratique du squat reste encore souvent associée à la délinquance et l’insalubrité. Pourtant, certains squatteurs le sont par choix et non par nécessité.

Pourquoi renoncer au confort matériel et psychologique, d’un logement normal quand on peut se le payer ? Ce podcast réalisé au coeur de Bruxelles t’emmène dans l’univers de Rockin’ Squat à la rencontre de Vijaya et Nael pour tenter de répondre à cette question. 

Un podcast réalisé par Elise De Koninck, étudiante en master complémentaire Presse & Information

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Guides du bobard

Mammouth - lun, 02/09/2024 - 15:29
Quand les guides touristiques racontent n’importe quoi

Crédit photo: Cécile Delacroix

Des millions de touristes s’aventurent chaque année à travers les rues de Bruxelles. Pour celles et ceux qui font appel à des guides touristiques, il y a un risque : se faire raconter n’importe quoi. Guides touristiques traditionnels ou guides de Free Tour, la formation n’est pas protégée en Belgique, laissant l’opportunité à chacune et chacun de raconter l’Histoire comme bon lui semble.

Grand place
Les pavés de Bruxelles sont un peu sa scène à lui. Les touristes deviennent spectateurs, eBrian lève le rideau. Il n’a pas besoin de micro, il a entrainé sa voix pour qu’elle porte. Parapluie jaune à la main, il est prêt à commencer son tour. Mais tout d’abord, il rappele ce que sont les Free Walking Tours. Parce que des roublards qui essaient de l’arnaquer, il en a eu.
« Nous les guides, vivons de vos pourboires. À la fin du tour, si vous avez eu une bonne expérience, vous pouvez donner un tip au guide » Clin d’œil. « Je suis le guide ! » s’exclame Brian, boute-en- train. « Mais pas de soucis, je vais d’abord vous prouver ma valeur. Vous pourrez décider de ce que vous me donnez ensuite ». Pour les guides touristiques, c’est ainsi que ça fonctionne : plus le tour est apprécié, plus le pourboire sera élevé et les commentaires positifs. Et plus il a de bons commentaires, plus il aura de clients et aura un meilleur classement sur le site de l’agence de booking.
On distingue deux types de guides. Ceux qu’Akif appelle les « anciens », les guides traditionnels, qui proposent des prix fixes par groupe. Puis il y a les guides de « Free Tour », reconnaissables grâce à leurs parapluies, comme Brian, qui misent tout sur leurs performances.

Hôtel de ville
Après une courte introduction sur la ville de Bruxelles, fondée au 8e siècle à Saint-Géry, Brian désigne de la pointe de son parapluie l’hôtel de ville derrière lui. « Vous ne remarquez pas un truc bizarre ? » Les touristes haussent les épaules. « Qu’est-ce qu’il y a, vous avez trop consommé de bières belges hier soir ? » Alors, toujours rien ? Le bâtiment est asymétrique : son côté gauche est largement plus petit que son voisin. « Revenons-en 1402. À cette époque, Jean Van Ruysbroeck était l’un des plus grands architectes de son époque. Il dessine les plans, réalise tous les calculs et donne son travail aux ouvriers. Puis il s’en va. Et il ne reviendra que pour l’inauguration ! Et lorsqu’il arrive devant l’hôtel de ville… ». Brian écarquille les yeux, porte les mains à sa tête et fait mine de se plier en deux en signe de désespoir.
« Le pauvre, il a presque fait un arrêt cardiaque ! » s’écrie-t-il. « Pour un architecte gothique, la symétrie est la clé ! » En bon orateur, Brian laisse une pause théâtrale. « Il ne lui restait plus qu’une chose à faire : boire », conclut-il. C’est un moment important de sa narration, alors le guide regarde intensément son public et bombe le torse pour parler bien fort. « He got wasted, shitfaced, drunk as fuck and everything! Et c’est là qu’il a décidé de monter sur les toits, en équilibre sur la rigole que vous voyez là-haut, et -Ploutsch ! – il est tombé ! Une grosse soupe à la tomate, juste ici, sur la Grand-Place ! » La plupart des touristes rigolent, certains se contentent d’un sourire. « Mais nooooon ! En réalité, c’est une légende, les gars ! #Fake News ! » s’écrie-t-il, sans toutefois raconter la vérité historique du bâtiment. Pas le temps. Après tout, 2h30 de tour, ça passe à toute vitesse.
« En réalité, Jean Van Ruysbroeck a eu une mort paisible, » se désole Lies. « Des petits jeunes qui racontent des bobards, il y en a plein ». Et encore, tous ne précisent pas que c’est une légende. À 68 ans, Lies est guide depuis 7 ans. Comme la pension de retraite ne permettait pas de subvenir à ses besoins, elle a décidé de suivre une formation de 3 ans au CERIA. Sur la Grand-Place, elle est l’une des seules à avoir une formation de tourisme en poche. En effet, comme le statut de guide n’est pas protégé, n’importe qui peut prendre un parapluie et créer son itinéraire.

Statue d’Everard t’Serclaes
Voisine directe de la Grand-Place, la statue d’Everard t’Serclaes, dont le laiton était auparavant d’un gris anthracite, est devenu doré à force d’être touché par les passants. La légende, selon Brian, est différente pour les femmes et les hommes.
« Les filles, si vous touchez la statue, vous atteindrez la beauté éternelle. Les produits de L’Oréal Paris, c’est fini ! » s’exclame-t-il. « Du calme, du calme, retenez-vous encore un peu ! » Même si, à priori, aucune dame n’a fait mine de se précipiter sur la statue. « Pour vous, les filles, l’opportunité est double : vous aurez également plus de chances de trouver l’amour ! » Il a bon dos, le t’Serclaes. « Vous, les gars si vous touchez la statue, vous aurez juste de la chance ». Brian raconte qu’un jour, une touriste s’était scandalisée : « Quoi, ils ont droit à toute la chance du monde et nous, on se retrouve avec des hommes minables ? » Libre à chacun de se faire une idée sur la question. Surtout parce que, s’il est répandu que la statue porte chance, on ne retrouve aucune mention de beauté éternelle et d’amour dans les bouquins. Ou même sur Internet, mais vous pouvez chercher. Ah et en plus, la statue est une copie. La vraie, elle est au musée depuis 2011. Pas de chance.
« On choisit tous comment on raconte l’Histoire », confie Akif, qui a étudié l’économie à la VUB. Après avoir été cadre dans le commercial, il s’est rendu compte qu’il avait besoin de changement. « Les qualités que l’on recherche dans le secteur du commerce, ce sont un peu les mêmes que celles que l’on cherche chez un guide. Il faut être social, inspirer la confiance, être empathique, ne pas être gêné… Et, dans le fond, c’est ce qui me plaisait ». Inspiré par le concept des free tours, il décide alors de lancer son propre modèle, une sorte d’hybride entre le free tour et les tours traditionnels. C’est-à- dire qu’avec Akif, on paie à l’avance, contrairement au Free Tour, mais le prix est par client, et non par groupe. « Comme j’ai de bons commentaires sur les sites de booking , les gens paient ». Et au plus un guide a des étoiles, au plus il peut se permettre d’augmenter le prix.

Hôtel Amigo
Ah, l’hôtel Amigo. En plein centre, il en a vu passer, cet hôtel. Entre Angela Merkel, Emmanuel Macron ou encore Beyoncé ou Jay-Z, peu importe ce qu’on en pense, ça en jette.
L’hôtel Amigo était une prison. Construite en 1522 par les Espagnols, on l’appelait alors le ‘vrunt’. « Vous savez d’où vient le nom ? » questionne Brian. « C’est interactif, le tour, les gars ! Bon, je vous l’dis, alors. Les prisonniers avaient pour coutume d’appeler les gardes espagnols ‘amigo, amigo !’ Depuis les fenêtres. Et quand les bougres arrivaient en bas, ils se faisaient cracher dessus ! ».
« C’est faux, bien évidemment ». Akif, qui s’est penché sur l’histoire de l’hôtel, n’a pas exactement la même théorie. Selon lui, le mot ‘vrunt’ viendrait de ‘vant erren’, ce qui signifie ‘les seigneurs’ en vieux néerlandais, un terme que la plupart des Flamands ne connaissent plus aujourd’hui. « Et comme ‘vrunt’ est très proche du mot ‘vriend’, qui veut dire ‘ami’, les Espagnols l’ont appelé ‘amigo’. C’est sans doute un malentendu de traduction ».
D’après Akif, le truc, avec les touristes, c’est de bien les cerner. Puis en fonction de qui on a en face de nous, on adapte ce qu’on raconte. « À Bruxelles, il y a trois types de touristes. Les boutiques, les Ryanair et les Chinois. » C’est simple. Les boutiques, souvent des Étasuniens, sont ceux qui ont beaucoup d’argent à dépenser. Ce sont ceux-là, les plus intéressants pour un guide touristique. Les Ryanair eux, sont souvent des Espagnols qui voyagent low-cost et ne restent à Bruxelles que quelques jours. Et quand tu as 150 euros en poche pour tout le week-end, tu te tournes plutôt vers les Free Tour, qui certes n’ont rien de gratuit, mais te permettent de choisir le prix. Trois touristes sur 4 à la grand-place seraient des Ryanair. C’est ce qu’estime Akif. Le troisième groupe est le moins intéressant, pour le tourisme local : ce sont le plus souvent des touristes asiatiques, qui voyagent avec leurs propres guides ou accompagnateurs. Ils se prennent en photo et vont manger dans leurs propres restaurants avant d’acheter leurs des souvenirs « made in China ».

Manneken-Pis
L’essentiel, quand on est devant le Manneken-Pis, c’est de jouer des coudes pour se faire une place. D’ailleurs, Brian doit s’assurer au moins dix fois qu’il n’a perdu personne. Concernant le petit homme qui pisse, il existe autant de légendes que de guides, raconte Akif. Pour sa part, il préfère s’en tenir aux faits historiques, sinon, il s’éparpille trop. En plus, il n’y a pas grand-chose à dire, parce que personne ne connaît l’histoire exacte du manneke. Raconter des légendes ne peut être que plus tentant. Pas pour Akif. «Je ne vais jamais inventer un truc ». C’est également la position de Lies, qui estime qu’il est « normal de ne pas tout savoir ». Elle n’hésite pas à faire ses visites avec une farde d’informations sous le bras, pour parer les questions inattendues. Lies a d’ailleurs un ami, guide lui aussi, qu’elle aime parfois écouter. « Quand je lui dis qu’il ne faut pas raconter de bêtises, il me dit : ‘Oui, mais ça les amuse’ ». Son constat est simple : parmi les gens du Free Tour, les guides racontent n’importe quoi. Et puis surtout, c’est n’importe qui. Les guides viennent de partout, de tous les milieux. Il y a des quarantenaires, comme Akif, qui entendent se faire une place dans le milieu. Puis il y a des retraités, comme Lies, qui propose des prix fixes pour des tours plus traditionnels. Enfin, il y a des étudiants ou des personnes plus précaires, nombreux parmi les agences de Free Tour, qui espèrent ne rester dans le business que temporairement.
C’est le cas d’Arthur, 27 ans, qui est arrivé tout droit d’Amérique latine en janvier 2023, avec pour seul bagage un bachelier artistique. Il n’avait jamais imaginé devenir guide touristique avant qu’une amie ne lui propose. Et comme il avait besoin d’argent, il a accepté. « On m’a donné un numéro. J’ai appelé. J’ai eu le job tout de suite ». Quelques jours plus tard, il commençait son premier tour. C’était en mai de la même année. Les qualités que l’on recherche surtout chez un guide, c’est la maîtrise des langues et le contact humain. « En tant qu’artiste, je raconte aussi des histoires. Peut-être pas avec des mots, comme dans les tours, mais avec mon corps ». Pour lui, qui parle espagnol et anglais, ce qui compte, c’est le storytelling. « J’adore parler à des amis. Du coup, je fais la même chose. Je ne veux pas dire que la partie historique d’un tour est ennuyante, ce n’est pas ça. Mais rendre la visite vivante, c’est important, sinon personne n’écoute. Évidemment, je donne des dates et des infos comme ça hein, mais j’essaie de rendre le tout plus léger ». Pour lui, ces différents aspects du métier sont indissociables. « Les gens qui arrivent pour faire des Free Tour, ils viennent pour s’amuser, pas pour faire un master en histoire ».

Palais royal
Après presque deux heures de visite sous la pluie, les touristes sont contents de s’asseoir sur les marches du palais royal. « Dernier stop », prévient Brian. « Avant de se quitter, est-je peux prendre une photo du groupe ? Si quelqu’un ne veut pas être sur la photo, pas de problème ». D’ailleurs, si quelqu’un ne veut pas être sur la photo, c’est tout bénef. Parce que cette photo, elle sera envoyée à l’agence qui se charge de recruter les touristes, qui prend une commission par client. En moyenne, la commission varie entre 2,5 et 4 euros par touriste. Les agences les plus vicieuses, elles, laissent les guides choisir le montant eux-mêmes, en échange d’une plus grande visibilité.
« Nous voici devant le palais royal. Et oui, la Belgique a toujours un roi. Et même une reine, bientôt. Élisabeth. Elle est toujours célibataire, les gars ». Puis, soudain, Brian en a fini avec les blagues. Son ton est devenu sérieux. Changement de sujet.
Le moment est venu de parler du Butcher King, le « roi boucher ». Oui, c’est bien Léopold II. Brian parle de la colonisation du Congo par la Belgique sans détour. Plus que ça, même. Il parle de massacres, de barbarie, de génocide. Léopold II, c’est un boucher, un fou furieux. Fucking bastard revient quelques fois. D’après lui, la Belgique, « c’est aussi ça ».
« Ce n’est pas une critique, en fait. C’est une réflexion », estime Arthur, qui parle également du passé colonial belge lors de son tour. « Par exemple, moi, je parle aussi des zoos humains. Avec empathie, bien sûr. Et je fais toujours une minute de silence. C’est aussi ça, être guide : raconter l’Histoire ». Lies, elle, s’abstient. « Si vous voulez entendre parler du passé colonial de la Belgique, vous n’avez qu’à faire un tour là-dessus ». Ce qu’elle dénonce surtout, c’est que ça n’a rien à voir avec le tourisme. « Dans la charte du guide, on ne donne pas son opinion, on raconte des faits. Parfois, à la cathédrale Sainte-Gudule, moi, je le dis : je ne fais pas de la religion. Je fais de l’Histoire ».
C’est également ce que pense Akif, même si, lui, a une vision plus commerciale du secteur. C’est avant tout une histoire d’image. Mais si tous les guides interrogés pour cet article s’accordent à dire que les autres font mal et qu’il y a un problème, alors, comment raconter l’Histoire ? « Devoir faire une formation pour être guide, ça ne me plairait pas, » songe Akif, qui se considère d’ailleurs un peu comme un historien. « Je n’ai rien à prouver. Par contre, passer un examen pour avoir un diplôme qui protège notre formation, ça, je ne serais pas contre ». Il y a quand même un truc qui le chiffonne : les anciens ont la critique facile. « Être guide, ce n’est pas qu’une narration de l’histoire, c’est aussi un contact humain. C’est un peu comme si les anciens avaient oublié d’évoluer avec le monde. Notre rôle, c’est de vulgariser ». Et parfois, de simplifier un peu l’histoire. « Ce n’est pas toujours 100 % exact, c’est sûr, mais c’est pour garder l’intérêt du public ».

*tous les prénoms de ce récit ont été modifiés

Réaction: La Ville de Bruxelles insiste sur l’offre fiable et déjà existante

Delphine Houba, Échevine de la Culture et du Tourisme de Bruxelles, a réagi à notre article. « S’il est important d’encourager une pluralité et une diversité de regards sur l’histoire de Bruxelles, en tant qu’Echevine de la Culture et du Tourisme, ma principale préoccupation est que les touristes puissent disposer d’informations qualitatives et documentées sur le plan scientifique. C’est le cas dans toutes nos institutions comme nos musées et centres d’art, à l’Hôtel de Ville, etc. C’est pourquoi, à notre échelle, nous soutenons des organismes tels qu’Arcadia, qui organise des visites guidées reconnues par le secteur. Nous coordonnons également des balades de groupe pour découvrir le « Parcours Street Art » et ses œuvres avec les guides confirmé.es de Brukselbinnenstebuiten et dès septembre avec Kimia Studio. De manière générale, nous incitons les touristes à se renseigner auprès de nos instituons culturelles telles que la Maison du Roi, où guides, historien.nes de l’art et urbanistes donnent également des informations de qualité et vérifiées sur le passé de notre Ville. »

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Profs, au coeur du quartier

Mammouth - mer, 28/08/2024 - 14:23
À Bruxelles, deux tiers des écoles sont catégorisées comme école à indice socio-économique faible. Les élèves qui les fréquentent viennent de quartiers précaires, avec un haut taux de chômage et un faible niveau d’enseignement.

Image par Indus International School Bangalore de Pixabay

Dans ces écoles, les professeurs sont mis à rude épreuve. Ils essayent de donner une chance à tout le monde, mais la tâche ne leur est pas rendue facile. Durant plusieurs mois, nous avons suivi Safia, Melissa et Céline, trois professeures de l’école Saint-Roch.

Un documentaire réalisé par Jamila Saïdi M’rabet, Alexia Diels, Charline Gillis et Leo Wagemans.

À visionner sur YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=B8F6_c_WCJw

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