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Anderlecht sous tension

Fri, 21/02/2025 - 14:31
Dans les quartiers de Clémenceau et de Saint-Guidon, les riverains s’inquiètent des fusillades

Victime d’une série de fusillades, la commune d’Anderlecht est plongée dans l’inquiétude. Comment les habitants des quartiers de Clémenceau et Saint-Guidon vivent-ils la situation ? Nous sommes partis à leur rencontres pour leur poser la question.

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Jobs étudiants à la sauce Arizona

Fri, 21/02/2025 - 14:22
La nouvelle majorité fédérale va permettre aux étudiants de travailler plus

Benjamin Maillet

Le nouveau gouvernement fédéral veut aux étudiants puissent travailler plus, et plus tôt. Actuellement, ils peuvent travaille jusqu’à 475 heures par an. La limite légale remontera bientôt à 650 heures. Les jeunes pourront par ailleurs commencer à travailler dès 15 ans (contre 16 actuellement). Au salon du job étudiant de Nivelles, les avis sont partagés sur ces nouvelles mesures.

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Aux racines de la guerre à l’Est du Congo

Thu, 20/02/2025 - 13:02
La prise de Goma et Bukavu ouvre un nouveau chapitre dans un conflit aux racines profondes

A l’est du Congo, la prise de Goma et de Bukavu par les rebelles du M23 a marqué une nouvelle étape dans un conflit où l’implication rwandaise n’est plus à démontrer. Alors que le M23 et les forces armées rwandaises progressent dans le Sud Kivu, la communauté internationale observe sans s’engager un conflit aux racines multiples et profondes.

Au moins 1.300 morts. Et 3.000 blessés. Sans compter ceux qui échapperont aux statistiques des Nations unies ou de la Division provinciale de la santé du Nord Kivu. Le bilan en chiffre de la prise de Goma, ce 27 janvier, par les rebelles du Mouvement du 23 Mars (M23), soutenus par les Forces Rwandaises de Défense (RDF) est terrifiant. Selon Radio France International, 70 % des blessés actuellement soignés par le CICR (Comité international de la Croix Rouge), sont des civils. Derrière les chiffres, s’étend une crise[1] humanitaire d’envergure. Les poches de sang manquent pour traiter les blessés, l’eau et l’électricité n’ont toujours pas été rétablis partout dans la ville de Goma. Celle-ci compte près d’un million d’habitants mais aussi un nombre similaire de déplacés internes, casés dans des camps insalubres depuis qu’ils ont fui les combats entre les rebelles du M23, l’armée régulière et ses supplétifs Wazalendo (Patriotes en swahili, une association de groupes armés qui ont fait alliance avec l’État congolais pour lutter contre le M23).

Si certaines activités ont repris à Goma, dont les marchés, on reçoit aussi, de la part de défenseurs des droits humains, des messages Whatsapp de ce genre : « La sécurité est mauvaise. Les parents n’osent pas mettre leurs enfants à l’école. La nuit, des gens armés font irruption dans les maisons.» Alors que le M23/RDF entraient dans Goma et encerclaient les forces armées congolaises, environ 4.000 prisonniers se sont enfuis de la prison centrale de Munzenze. Un incendie a causé la mort de 141 prisonnières coincées dans l’aile des femmes, où des agressions sexuelles ont également été relevées. Les armes abandonnées en rue par les militaires congolais en fuite (bientôt acheminés, pour une partie, vers le Rwanda) ont été récupérées par des bandits et jusqu’à aujourd’hui, le M23 n’a pas pu ramener la sécurité partout, malgré ses promesses d’y parvenir.

Après le 27 janvier, le M23/RDF a continué son offensive vers le sud. Le 12 février, ils sont entrés dans Kalehe-centre, à environ 60 kilomètres au nord de Bukavu, capitale de la province du Sud Kivu. Sur le sol congolais se joue désormais un conflit régional. Il oppose aujourd’hui les rebelles du M23 et le Rwanda, d’un coté, à l’État congolais soutenu par l’armée nationale du Burundi, les groupes armés locaux rassemblés sous la bannière Wazalendo et une force intervention de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), avec notamment des soldats sud-africains. Les combats ont engendré le déplacement forcé de 300.000 à 400.000 personnes rien que depuis le début 2025. Ceux-ci s’ajoutent aux 4,6 millions de déplacés de la région. Derrière le « grand jeu » qui se joue dans les Kivu, c’est bien d’une catastrophe en cours pour les civils dont il s’agit.

Les minerais n’expliquent pas tout

Pour l’expliquer, plusieurs pistes rivalisent dans les médias européens et les réseaux sociaux. Une d’elles, fortement mise en avant, voudrait que le facteur majeur qui pilote le conflit soit l’accès aux ressources minières de l’est du Congo, dont le sous-sol est riche en coltan (qui donne le tantale utilisé pour les semi-conducteurs des téléphones notamment), cassitérite (qui donne l’étain), wolframite (qui donne le tungstène) et en or. En réalité, les causes sont bien plus complexes et multiples, même si les ressources minières y jouent un rôle.

« Le M23 et le Rwanda ont chacun leurs propres motivations, explique Ken Matthyssen du centre de recherche International Peace Information Service (IPIS), basé à Anvers. Et si le Rwanda soutient le M23 depuis sa résurgence en 2021, les rebelles ont leur propre agenda, qui évolue au fil du temps. »

Le Mouvement du 23 mars est né en 2012, à l’initiative d’officiers membres d’une ancienne rébellion, celle du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), composée en bonne partie de Tutsis congolais. Ils voulaient montrer, par les armes, qu’ils n’étaient pas satisfait de la mise en place d’un accord de paix de 2009 entre le gouvernement congolais de l’époque et le CNDP. Cet accord mentionnait notamment que le CNDP pouvait se transformer en parti politique et que les rebelles allaient être intégrés dans l’armée régulière. En 2012, le M23 va gagner le contrôles de certaines parties du Nord Kivu (autour de Rutshuru, notamment) et parvenir à prendre Goma pendant quelques jours. À l’époque déjà, le Rwanda les soutenait activement. Mais le M23 se craquèle vite en deux ailes concurrentes[2] et un coup de pression des États-Unis[3] sur le Rwanda amène le retrait des troupes rebelles de Goma.

En 2013, un nouvel accord est négocié, à Addis-Abeba. Plusieurs cadres-dirigeants du mouvement partent en exil, au Rwanda ou en Ouganda. Ils reviendront quatre ans plus tard au pays, et entament, en 2019-2020, des négociations avec le nouveau pouvoir en place à Kinshasa, détenu par le président Félix Tshisekedi[4]. Ils réclament notamment d’être réintégrés dans l’armée. Les négociations échouent, pour des raisons encore floues[5]. Le M23 décide dès lors de reprendre les armes, dans la région de Rutshuru, au Nord Kivu. Selon Ken Matthysen, chercheur chez IPIS, « le M23 a des motivations qui sont très liées à la protection des communautés rwandophones de l’est de la RD Congo. Ils estiment que Kinshasa ne les protège pas assez. Ils ont ainsi envie d’éliminer les groupes armés rivaux (dont le Front démocratique de libération du Rwanda, mouvement rebelle constitué à l’origine par des génocidaires hutus, ndlr) mais se sont aussi constitués afin d’obtenir un accès aux terres, et de protéger les terres qu’ils ont acquises par le passé, notamment en accédant à des postes à responsabilités au niveau local. Au Congo, les autorités locales et les chefs coutumiers, par exemple, ont un rôle important à jouer en termes d’accès la terre. »

Dans un article paru dans The New Humanitarian[6], la chercheuse Judith Verweijen et le chercheur Christoph Vogel complètent cette explication : il y a aussi « les intérêts et les ambitions du leadership du M23. Ils incluent des intérêts individuels liés à une amnistie pour les violences passées et des réclamations politiques et militaires. Là où ces dernières se focalisaient au début sur la participation politique et le retour des réfugiés de la communauté tutsi congolaises, les rebelles développent aujourd’hui un agenda plus national, menaçant de marcher sur Kinshasa, la capitale. Ce n’est pas clair si cette menace est rhétorique ou basée sur un plan réel. »

Une « crise interne » ?

Entre 2021 et 2024, le M23 va petit à petit gagner du territoire dans la partie méridionale du Nord-Kivu, mais sans jamais indiquer vouloir prendre Goma, jusqu’à janvier 2025. Des publications du groupe d’experts des Nations Unies sur la RD Congo montrent des photos indiquant qu’ils ont pu disposer de matériel militaire rwandais (systèmes de tir, notamment) ainsi que de soldats du RDF dans le cadre de leurs campagnes militaires. De plus, le leadership du M23 va s’allier avec une personnalité politique qui entretient elle-même un conflit avec le régime Tshisekedi : Corneille Nangaa, l’ancien président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Nangaa n’est pas un Congolais rwandophone, il est originaire du Haut-Uélé, dans le nord-est du pays. Imposé par l’ancien président Joseph Kabila à la CENI, il a pu s’enrichir durant son mandat, acquérir des carrés miniers aurifères dans sa région, acheter des biens immobiliers à Kinshasa. En 2019, après les négociations post-électorales qui ont amené Félix Tshisekedi au pouvoir au détriment du vainqueur supposé, Martin Fayulu, Corneille Nangaa est placé sous sanctions américaines[7]. Sous pression financière, il aurait, selon Africa Intelligence, revendu ses titres miniers à des proches du régime actuel, sans jamais être payé. En 2023, Nangaa décide alors de lancer un mouvement d’opposition, l’Alliance Fleuve Congo, dont la branche militaire sera le M23. Nangaa devient un des principaux visages politiques de la rébellion, là où Sultani Makenga assume la direction militaire.

Lors d’une conférence de presse tenue dans un hôtel de luxe de Goma, Nangaa a affirmé que désormais, pour le mouvement, l’objectif était de renverser le pouvoir à Kinshasa. Au journal Le Soir, il a également déclaré, le 12 février 2025, qu’il n’était pas « le porte-parole du Rwanda », et que le conflit était « d’abord une crise interne congolaise ». Ce qui n’empêche pas que le Rwanda a envoyé plusieurs milliers de ses militaires, bien entraînés et équipés, pour appuyer l’avancée du M23 au Congo. Qu’est-ce qui motive Kigali à s’impliquer autant dans un conflit qui pourrait être dommageable pour son image de « bon élève » de l’Afrique des Grands Lacs aux yeux des bailleurs occidentaux qui soutiennent le budget rwandais ?

Beaucoup de personnes, notamment des députés belges au parlement européen, sorte la théorie des « minerais de conflit ». Le Rwanda viserait les richesses minières congolaises, dont le coltan de la mine de Rubaya (Nord-Kivu, à 4 heures de route de Goma), actuellement dans les mains de ses alliés du M23. La réalité est plus complexe, même si l’économie joue un rôle certain. Aujourd’hui, 150 à 200 tonnes de coltan sortiraient tous les mois des zones dominées par le M23 dans cette région, selon nos informations. Selon les Nations Unies, ces minerais ramènent des revenus de 800.000 dollars par mois au M23. Mais si l’objectif ultime était la maîtrise des zones minières, pourquoi est-ce que la rébellion a attendu 2023 pour s’emparer de Rubaya, alors qu’elle en avait les moyens militaires ? Le M23 se finance, comme d’autres acteurs armés, par des canaux multiples, dont la taxation dans les zones qu’il maîtrise ou les barrières routières[8]. S’ils sont présents dans la zone conquise, les minerais serviront bien évidemment de moyen de financement.

Mais Kigali est un acteur des chaînes minières impliquant des minerais congolais en dehors des périodes de rébellion. Entre la fin du M23 version 1.0, en 2013, et sa version 2.0, de multiples rapports des Nations Unies et d’ONG, ont souligné le rôle du Rwanda comme plaque tournante pour des minerais d’origine illicite. Depuis dix ans, les témoignages se multiplient sur les « fuites » de minerais sur le lac Kivu, en dehors des périodes d’activité du M23.

Le Rwanda extrait un peu de coltan[9] dans ses rares mines mais dépend surtout de l’extraction minière congolaise pour alimenter sa filière de transformation. En 2022, il a exporté pour 63,7 millions de dollars de coltan. Ce chiffre place le coltan très loin du peloton de tête des exportations rwandaises. Un autre minerais qui semble moins retenir l’attention est, en réalité, bien plus rémunérateur pour les élites économiques de Kigali : l’or. Il représente la principale exportation rwandaise en valeur, et 30 % environ de ses exportations totales. Ainsi, les déclarations d’importations d’or rwandais soumises par les Émirats arabes unis, véritable « hub de l’or » entre l’Afrique et l’Asie, indiquent que le Rwanda y aurait exporté pour 884 millions d’or en 2023[10]. S’il dispose de raffineries d’or[11], le pays ne dispose pas de mines en suffisance. Il se fournit via des réseaux d’approvisionnement opaques, dont une partie provient de RD Congo, mais il faut noter que jusque début février 2025, le M23 n’avait pas la maîtrise de territoires comportant un secteur aurifère important. L’or qui circule au Rwanda est acheminé via une séries de canaux et de pays voisins, qui servent à « blanchir » l’or congolais, entachés ou non par des conflits (car il faut rappeler qu’à côté du M23 subsistent une centaine d’autres groupes armés à l’Est du Congo, dont les très violents groupes CODECO en Ituri et les ADF dans la région de Béni).

Les ambitions de Kagame

Les minerais congolais représentent un élément dans une ambition politique plus vaste du régime de Paul Kagame, indéboulonnable et controversé président depuis près de 25 ans. « Il y a une compétition politique et économique dans la région, explique Ken Mathysen. Au début de son mandat Félix Tshisekedi a essayé d’apaiser les tensions à l’Est du Congo en proposant des accords bilatéraux. L’Ouganda et le Burundi ont pu amener sur le sols congolais leurs troupes afin de tenter d’arrêter, respectivement, les groupes armés ADF (d’inspiration djihadiste, ndlr) et Red Tabara (qui luttent contre le pouvoir en place à Bujumbura, ndlr). Avec le Rwanda, il y a eu la perspective d’accords militaires, de partenariats économiques. Une raffinerie de Kigali devait transformer l’or extrait sur les concessions de la société étatique congolaise Sakima. Tout a été annulé. En plus, les accords pour que l’Ouganda s’implique dans des infrastructures routières reliant la RDC à Kampala, afin de faciliter le commerce, ont irrité Kigali, qui perçoit la région comme son giron économique. Tout cela a créé beaucoup d’animosité, sans parler des propos très anti-rwandais de Félix Tshisekedi durant la dernière campagne électorale. »

Publiquement, le président rwandais Paul Kagame maintient un discours trompeur. A CNN, il a déclaré qu’« il ne savait pas » si son armée était présente au Congo, tout en disant que la situation au Congo était un souci majeur pour le Rwanda. Il présente la présence des rebelles du FDLR comme une menace (faible en termes d’hommes, mais symboliquement forte, Kagame ayant promis une sécurité sans faille aux Rwandais), mais les multiples incursions rwandaises, au cours des quinze dernières années, pour déloger les FDLR, n’ont pas amené à leur éradication.

Depuis une trentaine d’années et les suites du génocide, le Rwanda tente de façon répétitive « d’exercer son influence sur l’est de la RD Congo », écrivent Vogel et Verweijen. « Les motivations du Rwanda reflètent un mélange de raisons politique, sécuritaires et économiques, souvent chargées de narratifs identitaires. » En face, estiment les deux experts des mécaniques de conflit des grands lacs, « les gouvernements congolais successifs ont contribué à perpétuer cette impasse sécuritaire : incapable et réticente à construire une armée capable de protéger le territoire et sa population, les Forces de sécurité congolaises sont devenues partie prenantes de la violence à l’Est de la RD Congo. »

Du côté des élites rwandaises, analyse Kristof Titeca (Université d’Anvers), « il y a un sentiment profond que Kinshasa n’est pas capable de gérer le Congo. C’est pour cela qu’on entend parfois parler, à Kigali (et même Kampala), de la création d’une zone tampon à l’est du pays, avec une rébellion qui gérerait le territoire. Ils utilisent l’argument sécuritaire et l’exagèrent pour légitimer leur invasion mais sans reconnaître que des décennies d’intervention n’ont fait qu’empirer le contexte sécuritaire à l’est. » IPIS rappelait dans un article détaillé paru le 6 février[12] que le Congo représente le deuxième marché d’exportation pour Kigali (25 % de ses exports, dont des produits agricoles, du poisson, du pétrole).

En face, la réponse stratégique de Kinshasa a souvent pu sembler non coordonnée, voire expérimentale. Le gouvernement s’est allié avec des groupes armés (regroupés sous la bannière Wazalendo) qui se sont rendus coupables de violations des droits humains envers la population civile dans le cadre de sa lutte contre le M23. En parallèle, des forces d’interventions régionales ont été invitées sur le sol congolais, mais sans parvenir à enrayer la progression du M23.

Samedi 8 février, les chefs d’états d’Afrique de l’Est et d’Afrique australe ont appelé à un cesse-le-feu immédiat dans l’est du Congo. Sans pour autant condamner ouvertement l’invasion militaire rwandaise. Depuis, en dépit de cet appel, les combats ont continué, Kinshasa et le M23 s’accusant mutuellement d’avoir rompu le cessez-le-feu. Si la Belgique, par la voix du ministre des Affaires étrangères Maxime Prévot, a annoncé la possibilité de sanctions financière contre le Rwanda, l’Union européenne et la communauté internationale en général tardent à agir pour stopper le conflit et forcer le Rwanda d’arrêter son soutien au M23. Paul Kagame a déclaré à Jeune Afrique que personne ne « l’intimiderait avec des menaces de sanction. » Entre les deux pôles de ce bras de fer reste l’essentiel : des dizaines de milliers de Congolais pleurent leurs proches récemment perdus, et des millions d’autres sont voués à vivre dans la crainte, victimes du cycle infernal des déplacements de population et des conflits à répétition.

[1]https://news.un.org/en/story/2025/02/1160031

[2] Une portée par Bosco Ntaganda, condamnée en 2019 à 30 ans de prison par la Cour pénale internationale, et l’autre par Sultani Makenga, actuel leader militaire du M23.

[3]Sous la forme, notamment, d’un appel téléphonique de Barack Obama à Paul Kagame, le président rwandais.

[4]Suite à un « accord » avec l’ancien président Joseph Kabila et sa coalition politique, Tshisekedi devient président en 2018, évinçant Martin Fayulu, le vainqueur des urnes selon une fuite informatique et la Conférence épiscopale nationale congolaise (Cenco) qui dispose du plus grand réseau d’observateurs à l’époque. Le tout avec la bénédiction de Corneille Nangaa, actuel dirigeant de l’Alliance Fleuve Congo, partenaire du M23.

[5]Le journaliste ougandais Andrew Mwenda, proche de Paul Kagame, écrit que le leadership du M23 lui aurait confié que des membres du mouvement auraient été attaqués, en 2021, par l’armée congolaise, alors qu’ils attendaient un transfert au Bas-Congo. https://www.independent.co.ug/challenge-of-the-congo-2/

[6]https://www.thenewhumanitarian.org/opinion/2025/02/11/why-conflict-mineral-narratives-dont-explain-m23-rebellion-dr-congo

[7]https://home.treasury.gov/news/press-releases/sm633

[8]Lire à ce sujet : https://apache.be/2022/10/14/wat-als-weg-versperren-interessanter-dan-congolese-mijn-controleren et Roadblock Politics de Peer Schouten.

[9]Le Rwanda n’est pas membre de l’ITIE, l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives, ce qui rend très difficile l’identification de sa production minière propre et de ses canaux d’importation. Selon un géologue, les ressources en coltan du Rwanda ne permettent pas d’extraire dans leurs frontières les quantités qu’ils exportent.

[10]https://comtradeplus.un.org/TradeFlow?Frequency=A&Flows=X&CommodityCodes=TOTAL&Partners=0&Reporters=all&period=all&AggregateBy=none&BreakdownMode=plus

[11] Dont une a d’ailleurs été lancée par un Belge sous sanctions européennes, vivant à Dubaï, Alain Goetz.

[12]https://ipisresearch.be/publication/the-new-m23-offensive-on-goma-why-this-long-lasting-conflict-is-not-only-about-minerals-and-what-are-its-implications-qa/

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Mots de médiateurs pour maux de malades

Wed, 19/02/2025 - 10:37
A l’hôpital Saint-Pierre, le médiateur est trait d’union indispensable entre les médecins et les patients étrangers

Photos: Victoire Becquart

Abdel est l’un des six médiateurs interculturels de l’hôpital Saint-Pierre. Son quotidien est rythmé par les interventions, les annonces, où se mêlent grandes joies et lourdes peines. Immersion dans ce métier méconnu, celui d’un bâtisseur des ponts entre médecins et patients venus de loin.

« Bonjour Madame ! » lance vivement la médecin en entrant dans la chambre. Jusque-là plongée dans la pénombre, la pièce reprend vie. Dehors, le ciel semble mouillé, même si aucune goutte de pluie ne ruisselle aux fenêtres de l’hôpital. Mais la jeune mère, allongée aux côtés de son nourrisson de trois jours, ne réagit pas. Le silence s’installe.

Abdel, resté sur le pas de la porte, décide alors d’entrer. «Salam Aleykoum», dit-il à son tour. A ces mots, le visage de la jeune Irakienne, creusé par une fatigue intense, s’illumine. Elle semble avoir trouvé un repère ? Incomprise jusqu’alors, elle se redresse, hagarde, e regarde Abdel s’approcher vers le bout du lit. Pour ne pas brusquer la patiente avec du jargon médical, il entame une simple discussion. « Enchanté. Je suis Abdel, le médiateur. Toutes mes félicitations Madame! Comment allez-vous? Comment s’appelle votre magnifique bébé ?»  Une introduction qu’il s’empresse de traduire à l’équipe médicale. Les deux gynécologues profitent de sa présence pour donner à la mère tous les conseils qu’elles n’avaient pas pu lui transmettre jusqu’à présent. « Vous savez Madame, il serait dangereux d’avoir un autre enfant avant deux ans, cela représenterait un risque pour la cicatrice de la césarienne… ». Après seize ans de métier, Abdel sait bien comment adapter le discours des médecins, sans toutefois l’altérer. Certains sujets ne sont, en effet, peuvent s’avérer sensibles. La gynécologie, la mort, la sexualité ou le rôle même du médecin ne se vivent pas de la même manière dans toutes les cultures.

Cette complexité dans la communication est ce qui passionne Abdel, dont le rôle dépasse largement celui d’un simple traducteur. Il est l’un des six « médiateurs interculturels hospitaliers » engagés à Saint-Pierre, chargé de l’arabe et de ses dialectes. Ses collègues, eux, sont responsables du polonais, du turc, de l’albanais, du russe ou encore du roumain. Ils sont 125 en Belgique, 63 francophones et 62 néerlandophones. Dans cet hôpital, connu comme le plus multiculturel de la capitale, leur rôle, invisible du grand public, est absolument primordial.

Émotion quotidienne

Son « dect » – le téléphone dédié aux demandes de médiation – solidement fixé à sa ceinture, Abdel arpente inlassablement les couloirs de cet hôpital dont il connaît chaque recoin. Même quand on ne l’appelle pas, il a pour habitude de se balader de services en services pour proposer son aide. Tout le monde le connaît ici. Il faut dire que l’intensité émotionnelle de certaines médiations a créé des liens avec de nombreux médecins. Au fil des années, il a tissé de belles amitiés. Ses moments d’accalmie lui sont chers, tant il sait qu’ils ne durent jamais longtemps. Généralement, il ne faut pas dix minutes pour que son dect ne se remette à biper. Il est 12h45 en ce mercredi de fin novembre. Abdel en est à sa quatrième intervention. Alors qu’il s’apprête à aller manger, il reçoit un appel. Direction le service d’oncologie, à l’autre bout de l’établissement. Abdel marche à vive allure, enjambe les marches deux par deux. Il faut faire vite, il n’aime pas se faire attendre. A peine essoufflé, il arrive enfin dans le cabinet où le médecin et son patient, un réfugié d’origine irakienne, l’attendent. Le docteur a la mine grave. Il doit annoncer une mauvaise nouvelle à l’homme d’une cinquantaine d’années: une troisième récidive, très agressive, de son cancer du foie. Abdel fait tampon. Par des gestes, des expressions, il s’adapte à l’homme qui se trouve en face de lui. Lui-même immigré marocain, arrivé en Belgique pour poursuivre ses études il y 20 ans, il sait que son parcours est une force qui l’aide à comprendre certains patients. L’homme souffle, son regard se perd dans le vide. « Ça veut dire que je vais très mal ? » demande-t-il abattu. La voilà, l’intensité émotionnelle dont Abdel parlait.

Briller par son absence 

En plus d’être au cœur des plus belles interventions comme des plus difficiles, les médiateurs sont aux premières loges des mouvements migratoires. Il y a 16 ans, quand Abdel est arrivé à Saint-Pierre après des études dans le social, la guerre d’Irak venait de commencer. Les années suivantes, il a vu le nombre de patients irakiens. Aujourd’hui, avec la guerre à Gaza, ce sont les Palestiniens qu’il rencontre par dizaines chaque semaine. A chaque fois, il apprend beaucoup avec ces patients venus de loin. Nouvelles cultures, nouveaux mots, nouveaux dialectes. Nouvelles réalités aussi. Comme lors de cette matinée dont le calme fut interrompu par un appel des urgences. Abdel était à son bureau en train d’encoder, comme tous les matins, les médiations réalisées la veille. Cas, durée de la médiation, genre, âge et origine du patient… C’est une des obligations des médiateurs : rendre des statistiques annuelles pour l’hôpital. Une tâche chronophage, mais qui doit permettre, à terme, de faire ressortir des données intéressantes. Ce matin-là, pas le temps de terminer. Ni une, ni deux, Abdel s’empare de son dect, badge les portes plus vite que son ombre et dévale des escaliers qui mènent aux urgences. Il ne connait encore rien de l’intervention qui l’attend. Victor, l’assistant social, n’a pas eu le temps de le lui communiquer au téléphone.

La subtilité de mon métier se trouve dans l’invisibilité dont je dois faire preuve. 

Les urgences sont un service à part dans l’hôpital. Dans les couloirs constamment surpeuplés, on marche entre les brancards de patients qui attendent leur prise en charge, on entend crier, pleurer, et l’odeur est parfois difficile à supporter. Ces scènes de détresse physique et psychologique, Abdel en a fait son quotidien. Victor arrive à sa rencontre et en profite pour le briefer brièvement tout en trottinant. « C’est un monsieur d’une trentaine d’années qui est arrivé en Belgique il y a trois jours avec son frère. Ils viennent de Gaza. Ils sont à la rue et l’homme se plaint de maux de tête intenses à la suite d’un choc survenu là-bas. J’aimerai m’entretenir avec eux pour savoir où ils comptent aller après la prise en charge, s’ils ont des solutions… ». Sa phrase tout juste terminée, les voilà déjà dans la chambre. L’ambiance est lourde. L’homme se tord de douleur sur le lit. Il tient sa tête entre ses mains et semble très affaibli. Son frère le regarde assis sur le siège à côté de lui, impuissant. Leurs chaussettes sèchent sur un petit radiateur près du lit. Le petit coffre-fort dans l’armoire est ouvert, il n’y a rien à mettre dedans. Victor se présente et Abdel lui emboite le pas. « Bonjour. Je suis Abdel le médiateur et je suis là pour vous écouter ». Le frère le regarde et, désemparé, explique leur situation. « Je vous en supplie, donnez-nous un toit. Dormir dans la rue est trop dur, il fait très froid et mon frère est souffrant ». Victor leur explique la marche à suivre et leur promet de faire tout son possible pour les aider. L’échange est pesant. Après de longues minutes d’explications détaillées sur les démarches possibles, Abdel s’approche de l’homme et pose sa main sur son épaule. « Courage », lui souffle-t-il. «Victor connait des gens, il va vous aider». Le dect sonne et c’est déjà l’heure de repartir.

Sur le chemin, Abdel explique : « Il est important de ne pas se positionner comme l’avocat du patient. Malgré les situations parfois très complexes comme celle qu’on vient de vivre, je laisse les patients prendre leurs responsabilités et je fais attention à ne pas les materner. Je les laisse réagir comme ils le sentent, sans les influencer». Tout en entrant dans l’ascenseur qui mène au service pédiatrique, il ajoute humblement : « La subtilité de mon métier se trouve dans l’invisibilité dont je dois faire preuve. La relation médecin-patient ne doit en aucun cas être altérée, simplement facilitée. Le médiateur doit briller par son absence, ne pas être une entité à part entière ».

Le choc des cultures

Les médiateurs doivent non seulement traduire les dires des médecins, mais aussi les rendre intelligibles par le patient. Ils prennent le temps d’expliquer, d’utiliser des références communes et de faire des comparaisons. Avec l’expérience, ils accumulent un savoir médical impressionnant. Abdel trouve cela passionnant. Il est capable, par exemple, de reconnaître la galle d’un coup d’œil ou encore d’énumérer tous les moyens de contraception possibles, sans que le médecin n’ait à le lui faire traduire.

Il faut savoir s’adapter au psychisme et aux références culturelles du patient. Notre métier est fondamentalement humain, c’est bien plus que de la traduction

C’est d’ailleurs ce qu’il a fait lors de la médiation avec la jeune mère irakienne et son nourrisson. Lors de cette intervention, qui avait touché à l’intime, il était étonnant de constater la confiance qu’avait rapidement donnée la mère à Abdel. Sa condition d’homme a-t-elle déjà représenté un frein pour certaines femmes ? Pour le bien de la médiation, il se doit d’être présent durant toute la consultation. Mais qu’en est-il des interventions gynécologiques par exemple ? « Il est rare qu’une femme refuse ma présence parce que j’ai appris à ne plus représenter l’« homme » que je suis mais seulement le médiateur, l’aidant ». Son effacement va jusque-là. Quelques jours plus tard, une situation vient l’illustrer.

9h30, Abdel est dans bureau. Il s’occupe de traiter les demandes anticipées de médiation pour des langues que son équipe ne maîtrise pas. Il en arrive des dizaines chaque jour. Pour chacune d’entre elles, l’équipe s’occupe à tour de rôle d’engager un médiateur externe à l’hôpital via « SeTIS », une plateforme créée à cet effet. C’est aussi leur rôle. Ce sont des interventions que l’hôpital paie entre 40 et 50 euros. «La moindre erreur est donc relativement couteuse » explique-t-il. « Hier encore, un patient, pour lequel j’avais sollicité un médiateur SeTIS, n’est jamais venu. Problème de communication. Et l’hôpital a payé dans le vide… ». Abdel est concentré… jusqu’à cet appel.  Son dect sonne, c’est le service de planning familial. Il décroche et demande simplement : «Quel est le nom de cette dame ?». Cette question n’est pas anodine. Connaître cette information lui permet d’anticiper le dialecte arabe à utiliser. « En effet, dit-il, chaque nom est connoté ». Trois minutes plus tard, il est trois étages plus bas, aux côtés des secrétaires qui l’avaient appelé. Une femme est assise dans la salle d’attente, incapable de communiquer avec le personnel. Elle tient une poussette dans laquelle un bébé dort paisiblement. Abdel se présente, la femme se lève et s’approche du comptoir. Elle semble exténuée. Gênée de parler, ses yeux fixent le sol. Abdel le comprend aussitôt et la rassure. « Comment allez-vous  ? Vous avez le teint pâle, vous paraissez très fatiguée. Je vous en prie, asseyez-vous ». La femme chuchote. Elle vient pour une IVG. Elle ajoute qu’elle se sent extrêmement coupable. Les secrétaires, soutenu par Abdel, lui rappellent alors qu’elle est libre de son corps et de sa vie et que personne ne peut la juger. La secrétaire lui demande son numéro de téléphone et Abdel, la voyant réticente, ajoute que si ce n’est pas elle qui répond la première, ils ne diront rien. En partant, il mentionne la « compréhension interculturelle » qu’a nécessité l’intervention, notion omniprésente dans son métier. « Il faut comprendre que cette femme, en faisant cette démarche aujourd’hui, se met réellement en danger. Sa culture est très patriarcale, c’est l’homme qui prend les décisions. Si son mari l’apprend, cela pourrait être catastrophique. D’autant plus, si cela s’ébruite autour d’elle, dans sa communauté, elle pourrait être violemment rejetée. Tout cela, je le sais, et je dois composer avec. Je dois adopter une attitude spécifique et proposer, avec les secrétaires, des solutions adaptées. Il en va de sa sécurité».

Au bout du fil

En plus de la médiation interculturelle physique, les médiateurs travaillent également à distance, par visio-conférence ou simple appel téléphonique. Un planning horaire prévoit un temps obligatoire où, toutes les semaines, chaque médiateur se doit d’être disponible en ligne pour répondre aux demandes externes. En effet, de nombreux hôpitaux et autres centres médicaux ne peuvent pas s’offrir le luxe de médiateurs à domicile. Une matinée par semaine, Abdel s’enferme donc dans le petit bureau prévu à cet effet, face à sa webcam. Régulièrement, on lui demande aussi de passer des appels téléphoniques avec des patients : prise de rendez-vous, résultats d’analyse…

Ce jeudi après-midi, Abdel est appelé par la maternité pour s’entretenir avec une ancienne patiente. Quand il arrive sur place, l’assistante sociale lui explique que la mère qu’ils souhaitent appeler vient de perdre son bébé in utero, quelques jours auparavant. Par cet appel, ils veulent discuter avec elle du devenir du petit corps. Pendant une dizaine de minutes, et dans un silence presque religieux, Abdel s’entretient avec la femme endeuillée. Une discussion bien lourde pour être faite au téléphone, d’autant plus qu’elle omet le non-verbal, pourtant essentiel en médiation.

Ce jour-là, Abdel a mené à bien plus de dix médiations différentes. Dix patients, et autant de problématiques, jargons médicaux et émotions différentes. Sans oublier qu’entre chacune d’entre elles, il court. « Certains jours, il m’est arrivé de ne pas pouvoir manger avant 15h » confie-t-il. Cela pose question. Comment fait-il pour tenir le coup, physiquement comme mentalement ? « Certes, je suis parfois fatigué en fin de journée, surtout celles où les interventions s’enchaînent» avoue-t-il, en regardant les chiffres des étages de l’ascenseur défiler. «…mais la passion pour mon métier reste, elle, infatigable». « Ding». Les portes s’ouvrent. Et avec elles, la vision altruiste qu’il nourrit un peu plus chaque jour.

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Photojournalisme et IA : une coexistence pacifique ?

Sat, 15/02/2025 - 13:30
« Plus la technologie avancera, plus notre travail de photojournaliste devient précieux »

Photos : Mia Hodžić

Omar Havana, photojournaliste depuis plus de vingt ans, revient sur son parcours et les défis d’un métier en plein changement. Entre authenticité humaine et avancées technologiques, il défend un photojournalisme transparent et fidèle à la réalité, tout en appelant à une collaboration entre empathie et innovation. 

Quelles différences voyez-vous entre un journaliste, un photographe et un photojournaliste ?

Ces métiers partagent une mission commune: témoigner du monde, mais leurs approches diffèrent. Le journaliste raconte des histoires par les mots. Avec des phrases, il décrit un événement, une émotion, une ambiance. Le photographe utilise des images, mais pas forcément pour raconter une vérité car la photographie peut être artistique et interprétative. Le photojournalisme se situe à la croisée des deux. Il ne s’agit pas simplement de prendre des photos, mais de documenter la réalité de manière fidèle. Un bon photojournaliste doit être capable de capturer une image qui raconte une histoire, sans avoir besoin d’explications supplémentaires. Ce n’est pas forcément plus simple ou plus difficile que d’écrire, mais c’est une autre manière de communiquer. Pour moi, le point central du photojournalisme, c’est l’observation et l’empathie. Prendre une bonne photo demande du temps, une immersion dans l’environnement et une compréhension fine des dynamiques humaines. Chaque cliché est le fruit d’un dialogue entre le photographe et son sujet. Je passe beaucoup de temps à observer les gens, à essayer de comprendre leur situation avant de prendre une photo. Et surtout, je garde à l’esprit que ce n’est pas mon histoire que je raconte, mais la leur. 

Dans un contexte où l’intelligence artificielle transforme de nombreux secteurs, quel est son impact sur votre métier ?

L’IA est un sujet qui divise. J’ai déjà discuté avec beaucoup de collègues qui craignent que l’IA prenne nos emplois car elle offre des outils puissants pour générer des photos ou manipuler des images. Mais pour moi, elle ne peut pas remplacer la réalité. Être photojournaliste, c’est être sur le terrain, sentir l’ambiance, capter l’émotion. Si vous voulez montrer ce qui se passe en Ukraine, vous devez être en Ukraine, pas derrière un ordinateur à générer des images. Une machine ne pourra jamais capturer les émotions ou l’atmosphère d’une scène réelle. Ce que l’IA peut produire, c’est une imitation, mais il manque toujours l’authenticité, la profondeur émotionnelle. C’est cette authenticité qui fait toute la force du photojournalisme. Une bonne photo, c’est celle qui traverse le temps et l’espace pour toucher directement le spectateur. Cela dit, l’IA peut nous aider. Par exemple, je l’utilise pour retoucher mes photos ou simplifier certaines tâches techniques. Ce qui me prenait des heures il y a dix ans peut maintenant se faire en quelques minutes.

Il est important de former le public à reconnaître les vraies images des fausses et à comprendre ce qu’est le photojournalisme. Sans cet effort collectif, la frontière entre le réel et le fictif pourrait s’estomper dangereusement.

La crédibilité des images journalistiques est-elle menacée ?

Avec l’IA, il devient facile de falsifier des images, ce qui peut en effet susciter le doute, même envers des photos authentiques, surtout si elles sont spectaculaires ou difficiles à croire. Pour protéger notre crédibilité, la transparence et la rigueur sont cruciales. Être sur le terrain, éviter les manipulations excessives et s’assurer que chaque image reflète fidèlement la réalité sont des impératifs. Le problème avec les images générées par IA, c’est qu’elles peuvent être visuellement parfaites, mais elles n’ont pas ce ressenti humain. Une vraie photo transmet des émotions que l’IA ne peut pas reproduire. Je pense aussi qu’il est important de former le public à reconnaître les vraies images des fausses et à comprendre ce qu’est le photojournalisme. Sans cet effort collectif, la frontière entre le réel et le fictif pourrait s’estomper dangereusement.

Quels conseils donneriez-vous à de jeunes photojournalistes face à ces défis technologiques ?

Mon premier conseil serait de cultiver l’empathie. Avant de maîtriser l’IA ou toute autre technologie, il faut d’abord comprendre les gens que vous photographiez. Si vous n’avez pas cette capacité d’écoute et de respect, vous n’arriverez pas à raconter de véritables histoires. Ensuite, soyez passionnés. Quant à l’IA, je pense qu’il faut l’accueillir comme un outil et non comme une menace. Quand Photoshop est arrivé, beaucoup de photographes traditionnels l’ont rejeté. Mais ceux qui ont appris à l’utiliser ont découvert de nouvelles possibilités. C’est la même chose aujourd’hui. 

Pensez-vous que l’IA remplacera un jour les photojournalistes ?

Non, car le photojournalisme repose sur des qualités intrinsèquement humaines : l’observation, la sensibilité et la présence. Même si les machines s’améliorent, elles manqueront toujours de cette compréhension intuitive des situations. Paradoxalement, plus la technologie avancera, plus notre travail deviendra précieux, car il représentera une rareté : celle de la vraie connexion humaine. Être un témoin direct, c’est ce qui continuera de nous différencier des technologies.

Traduit de l’anglais par Mia Hodžić.

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José, au cœur des luttes

Wed, 12/02/2025 - 22:59
Au milieu des sifflets et des drapeaux, José représente les travailleurs en situation de handicap

Employé dans une entreprise de travail adapté, José se révèle également être un militant engagé. Entre la passion, le courage et la détermination, Mammouth média s’est glissé dans son quotidien.

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Sans-abrisme: les bénévoles en première ligne

Wed, 12/02/2025 - 14:32
Reportage en maraude à Bruxelles avec les bénévoles de la Croix-Rouge

Elise Henry

En 2024, le nombre de personnes sans-abris et mal logées à Bruxelles pourrait dépasser la barre des 10.000 (contre 7.134 en 2022), selon le centre d’appui régional Brusse’Helpt. Cette augmentation du sans-abrisme, la Croix- Rouge y est directement confrontée au travers de ses maraudes de nuit. Nous les avons accompagné.

Il fait nuit, le vent souffle fort et le temps est glacial, nous sommes à la veille du grand retour de la neige. Rendez-vous à 18h, rue du Rempart des Moines 78, le mardi 19 novembre, au local de la Croix-Rouge de Bruxelles. Le portail est grand ouvert, aucun bénévole n’est encore arrivé hormis Gaëtan Lebrun, responsable de l’équipe Maraude, et Christine Weiland, présidente de la section de Bruxelles. Les locaux sont organisés en trois espaces. Il y a la réserve, la pièce à vivre, teintée de blanc et de rouge aux couleurs de l’association, et la cuisine, où sont préparés les sandwichs.

La Croix Rouge de Bruxelles organise tous les mardis soir des maraudes aussi dites tournées « HOMI » (« homeless and migrants ») pour désigner les bénéficiaires : les sans-abris et sans-papiers. « À la Croix- Rouge on ne fait aucune différence entre les bénéficiaires qu’on rencontre dans la rue, quel que soit leur parcours », explique Gaëtan Lebrun. Les maraudes sont organisées en trois équipes, qui distribuent de la nourriture, des boissons chaudes, mais aussi des produits de première nécessité. Les maraudes sont également un moyen de rétablir du lien social avec les bénéficiaires et les rediriger vers d’autres structures associatives. Pour Gaëtan Lebrun, « la tartine, c’est qu’un prétexte pour rester discuter avec eux, s’ils le veulent ».

De 18h à 20h, les bénévoles arrivent petit à petit, aident à la préparation de la nourriture et organisent les différentes caisses qui accompagneront les tournées. On enclenche la bouilloire, on réchauffe la soupe dans des marmites, et chacun se met à la chaîne pour réaliser des sandwichs au fromage. Entre les bénévoles, ça discute du quotidien et des préparatifs de la maraude, le tout dans une ambiance conviviale.

On avait commencé avec 45 sandwichs et maintenant on est à 120, mais j’en ferais 150, ça partirait aussi

Christine Weiland, présidente de la Croix Rouge de Bruxelles.

Le sans- abrisme augmente considérablement à Bruxelles, et ce sont les acteurs de terrain comme les bénévoles de la Croix-Rouge qui sont les premiers à le constater. Christine Weiland, présidente de la section Bruxelles de la Croix-Rouge, confirme avoir observé une forte augmentation du sans-abrisme depuis 2011 (début des maraudes a la section de Bruxelles) notamment du nombre de migrants en provenance de l’Europe de l’Est : « Le sans-abrisme augmente, ça c’est sûr (…) il y a un boom migratoire pas possible. On avait commencé avec 45 sandwichs et maintenant on est à 120, mais j’en ferai 150, ça partirait aussi », remarque-t-elle. Plusieurs autres bénévoles attestent également de cette augmentation, visible au travers des maraudes, même si cela dépend toujours des zones dans lesquelles ils interviennent. Quentin Guiraud, bénévole depuis 6 ans à la Croix-Rouge, a également constaté l’augmentation du nombre de femmes sans-abris et les très faibles réinsertions chez les bénéficiaires rencontrés.

La maraude de la Croix-Rouge s’arrête dans une station de métro

Il est 20 heures, l’heure d’aller commencer la maraude. Il fait nuit noire et les températures frôlent les 0 °C. Après un dernier briefing de Gaëtan Lebrun, les bénévoles enfilent leurs vestes rouges et se répartissent dans les camions. Tout au long de la maraude, l’ambiance dans le camion reste joviale. Les bénévoles discutent des endroits où l’on croise le plus de bénéficiaires, de ceux avec qui ils ont noué des liens (et dont ils s’efforcent de retenir les prénoms) mais aussi de la meilleure manière pour dire au revoir à un bénéficiaire : « au revoir » semble trop formel, « bon courage » paraît trop misérabiliste, « bonne soirée » peut sembler ironique. Ils finissent par s’accorder sur une formule : « Prenez soin de vous ».

On discute aussi de la meilleure manière de dire au revoir à un bénéficiaire : « au revoir » semble trop formel, « bon courage » paraît trop misérabiliste, « bonne soirée » peut sembler ironique. On s’accorde sur : « Prenez soin de vous ».

Le camion est allé du parvis de Saint-Gilles à la place du Luxembourg en passant par l’Hôtel des Monnaies. À chaque arrêt, les bénévoles prennent des caisses contenant des denrées alimentaires ou des produits d’hygiène pour les distribuer aux bénéficiaires. Ces derniers sont souvent allongés dans des couloirs de station de métro, assis sur un banc, ou blottis à plusieurs sous des tentes. À chaque rencontre, les bénévoles prennent le temps d’échanger avec les bénéficiaires pour créer ou renforcer un lien social, comme avec Léo. Lors d’une visite à la Croix Rouge, ce bénéficiaire a offert un livre à Quentin, avec qui il avait noué une relation amicale. Pour certains bénéficiaires, croiser la Croix- Rouge c’est discuter, donner ou recevoir des nouvelles, partager un sourire ou simplement tenir une main.

Il est 23 heures, c’est la fin de la maraude, tous les repas ont été distribués, même si, en milieu de parcours, les bénévoles ont dû rationner pour pouvoir en donner au plus grand nombre. À l’approche de l’hiver, la Croix-Rouge redouble d’efforts pour venir en aide aux milliers de sans-abris qui devront affronter des conditions climatiques éprouvantes et dangereuses.

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En « hypnagogie » avec Grégoire Gerstmans

Mon, 10/02/2025 - 16:54
Grégoire Gerstmans : « J’ai réussi à trouver un son, qui est personnel et intimiste »

Hypnagogie, c’est le nom du premier album solo de Grégoire Gerstmans. La pianiste originaire de Liège signe un album au style néo-classique et minimaliste, qui nous emmène dans un état d’hypnagogie, sur le fil de l’endormissement. Nous l’avons rencontré.

Mammouth:  Sortir un premier album, en solo, et au piano, ça fait quoi ?

Grégoire Gerstmans: C’est un peu pyramidal. De manière général, c’est déjà un rêve d’enregistrer un disque. Mais le faire en solo, c’est incroyable et sous son propre nom, c’est encore plus incroyable, c’est rentrer dans quelque chose de très personnel. Le piano est arrivé comme une évidence, d’une manière naturelle. C’est mon instrument de cœur, c’est mon premier instrument. Je ne me souviens même pas d’avoir commencé à jouer au piano, j’en ai toujours fait.

Le jour de la sortie de l’album, c’est un énorme plaisir. C’est énormément d’émotion et de sentiment, parce que c’est un rêve. Voir tous ces gens qui croient au projet depuis le début, ma famille et mes proches, qui m’ont aidé à aller jusqu’à l’aboutissement de ce disque, c’est un plaisir.

Vous dites créer votre musique à la sensibilité, mais derrière un piano, comment exprime-t-on sa sensibilité ?

Le piano, c’est un peu la même chose qu’un alphabet, mais il n’y a que douze lettres. Ce qu’il a de particulier avec le piano, c’est qu’il y a la musique, les notes, et puis il y a la manière dont on va les jouer. Mon expérience dans ce projet, c’est de me dire j’ai envie de composer une mélodie, de jouer une mélodie, mais je vais l’amener avant tout dans mon univers. C’est aussi ça la musique et les émotions : c’est la manière dont on va ressentir les choses, et la manière dont on va les jouer. Dans mon travail, je vais ajouter beaucoup de silence dans mes morceaux. Ils apportent une émotion et il ne faut pas les négliger. Mon combat, c’est d’arriver sur le piano, de proposer des choses, et de retirer tout ce qu’il y a de superflu, pour en arriver à un équilibre entre le silence et les notes. Quand j’écris un morceau, j’essaye de laisser le plus d’espace possible à la contemplation et à ce que les gens peuvent ressentir.

Vous avez enregistré votre album sans artifice, dans votre grenier. Pourquoi avoir fait ce choix ?

La marche normale à suivre, ça aurait été de louer un piano, de louer un studio d’enregistrement, de prendre un ingénieur du son et d’enregistrer mes morceaux pendant deux ou trois semaines, et voilà. C’est ce que tout le monde aurait fait. Mais dans cette démarche, il faut aller vite. Je voulais quelque chose de différent. Ça a commencé par le piano. J’avais un son en tête. J’avais envie de trouver un vieux piano avec un touché, une histoire, une émotion et je voulais trouver une relation avec le piano. Quand je l’ai trouvé, j’avais mon piano, mais pas de studio. Donc je me suis mis dans mon grenier. D’un côté, pour éviter les bruits de la maison et d’un autre pour m’isoler. On a fait entrer le piano par la lucarne, dans le grenier. Et autour, j’ai construit une cabine studio, pour arriver à n’avoir que le son du piano. Mais bon, je reste dans mon grenier, donc on entend aussi le bruit des oiseaux, le vent, etc. Ce sont des choses que j’assume. C’est chouette parce qu’on a trouvé un son, mais aussi un son qui est personnel et intimiste.

Pourquoi « hypnagogie » comme titre de l’album ?

Après avoir écrit un morceau, je cherchais un mot, un nom à celui-ci. Clément (qui écrit les textes et les poèmes qui du livret qui accompagne l’album) étant très littéraire, je lui ai demandé des idées de noms et de titres, sur le minimalisme et l’ambiance du morceau. Et dans les mots qu’il me sort, il y a « hypnagogie ». Dans un premier temps, je me demande d’où sort ce mot. Je vais voir la définition au dictionnaire et ça m’a directement impressionné. Ce mot m’a marqué, m’a sauté aux yeux. C’était ce mot-là. J’ai tellement aimé le mot que j’en ai fait le titre de l’album. Je voulais un disque avec un nom original. Ce mot, ce nom, il a influencé le reste de l’écriture de mon disque. L’endormissement, c’est un moment sacré. Si tu ne lâches pas prise de ta journée, tu ne t’endors pas. C’est aussi quelque chose de physique, de fin, d’ambivalent entre le rêve et l’éveil. Tu peux tout faire pendant l’hypnagogie. Et c’est ce que je recherche dans ma musique, un moment de lâcher prise.

Le dernier morceau de votre album est le seul avec des paroles. C’est une métaphore qui parle du temps qui passe, et de la peur de rater les plus beaux moments de sa vie. Ça vous angoisse, le temps qui passe ?

Oui, beaucoup. Je ne suis pas à l’aise avec la fin en fait. Mais j’oublie que c’est un tout, que la fin fait partie du début, et qu’il faut savourer l’instant parce que sinon on est vite à la fin.

Clément a écrit ce texte, et quand je l’ai lu, j’ai été marqué, émerveillé par le texte. La métaphore est très prenante, tellement qu’on a décidé de contacter Laurence Vielle, qui a été nommée poétesse nationale en 2016. On lui a demandé si c’était possible de venir chez elle pour enregistrer ce texte. Ça a été une rencontre extraordinaire. Je suis tombé amoureux de sa voix.

Pour vous, faire de la musique, c’est prendre le temps ?

C’est me connecter au temps. Avoir écrit et jouer ce piano, pour moi, c’est comme si j’ouvrais la page d’un grand livre d’une nouvelle thérapie, une nouvelle vie. J’ai une phrase, qui est vraiment une base de mon projet, « Profite de l’éternité de l’instant. », qui influence mon style de vie. Je sors du rock’n’roll, de la pop, des grosses fêtes et j’ai écrit un disque qui est presque ma prescription personnelle finalement.

Il est fier de ce projet, le petit Grégoire qui passait son temps à jouer au piano chez son grand-père ?

Oui, il est super fier. Mais, ça me demande un effort de prendre du temps d’être fier. Là, j’ai envie de prendre du temps pour accueillir l’accomplissement de mon projet, mais comme je fais aussi mes propres photos, mes clips, mes concerts, etc., je ne m’arrête jamais. Donc oui, je suis fier de moi, mais ça va aussi prendre un peu de temps pour prendre conscience de ce qui est sorti, et pour prendre conscience de la dose de fierté.

Et votre grand-père, il serait fier ?

Il serait très fier, et même mes deux grands-pères. Ils m’ont donné l’art des deux côtés. L’un m’a donné le goût à la musique, l’autre à la peinture et l’art visuel. Mais oui, ils seraient fiers, et j’ai le rêve d’imaginer qu’ils le sont.

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Se loger sans papiers, une lutte en zone neutre

Mon, 10/02/2025 - 16:23

Photo : Elodie Clement

Habiter un lieu est une banalité pour certains, une lutte quotidienne pour d’autres. C’est le cas du collectif Zone neutre, un groupe d’une soixantaine de sans-papiers, qui occupent un bâtiment vide à Woluwe-Saint-Lambert. Ils défendent le droit au logement pour tous et toutes, et luttent pour la régularisation des sans-papiers. Le 22 octobre dernier, ils ont échappé de justesse à une menace d’expulsion.

Un grand bureau dressé au milieu de la pièce donne au 451, Avenue Georges Henri, une allure à mi-chemin entre le squat et la salle de réunion. Une odeur de hall de gare, de marc de café et de tabac froid flotte dans l’air. Si le lieu a une apparence glaciale, une chaleur et une familiarité s’en dégage. Il est habité par le feu de celles et ceux qui luttent. Les éclats de voix caractéristiques des balbutiements d’enfants se mêlent aux conversations étouffées, et comme du velours, habillent la froideur des murs.

Ce soir-là, une cinquantaine de personnes se tiennent dans ce décor. Au milieu d’eux se trouve un homme au visage détendu mais fatigué. C’est Saïd, le porte-parole du collectif, qui anime une réunion. « C’est un projet de lutte. Le logement, c’est un droit. On a le droit d’être ici ». Régulièrement, il passe du français à l’arabe pour faire comprendre son discours à l’ensemble de son auditoire.

Le collectif existe depuis 2021 et a occupé quatre bâtiments différents. Depuis le cinq aout dernier, ils occupent celui-ci, qui appartient au Groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), vide depuis trois ans.

 « Une partie des propriétaires a porté plainte contre nous. Il y avait l’expulsion normalement le 22 octobre. On a mobilisé notre réseau, on a résisté. Grâce à ça, on a réussi à avoir un recours ». Désormais, ils attendent de savoir s’ils pourront ou non signer une convention, qui leur permettrait de rester un certain temps dans le bâtiment. 

Le froid et l’incertitude s’invitent

Une dizaine de minutes après le début de la réunion, les lampes qui brûlaient à l’essence s’éteignent subitement. Le groupe décide de continuer la discussion dans le noir. Depuis deux mois, les occupant·es sont privé·es d’électricité. Une difficulté qui s’additionne à toutes celles qui compliquent leur quotidien.

Naïma* a fini ses études il y a peu. Sa voix gracile dégage une optimismeà toute épreuve. Elle est née en Belgique et a donc ses papiers mais, victime de la crise du logement à Bruxelles, elle ne peut pas assurer un loyer. Elle vit avec le collectif depuis plusieurs mois. « À cause de la coupure d’électricité, il fait hyper froid le soir. Le froid me gêne plus que le manque de lumière. Aussi, il n’y a pas de douche ici. Chacun se débrouille, il faut se laver chez des amis, à la salle de sport… ».

La vie dans une occupation, c’est aussi la crainte d’être expulsé. « Moi, c’est différent, je sais que je pourrai trouver mon propre logement. Mais tu ne peux pas vivre comme ça, c’est vraiment super difficile de pas savoir si tu peux rester habiter dans un endroit. C’est effrayant, parfois tu dors pas, tu dors super mal. »

Négocier la signature d’une convention permettrait au collectif d’avoir plus de confort, notamment en rétablissant l’électricité. L’obtenir est aussi un préalable aux demandes de régularisation, car le convention offrirait une adresse aux occupant·es. Saïd explique : « Nous ici, on est dans le cas de la migration économique, et ça ne nous donne pas le droit de demander l’asile. C’est un problème. C’est pour ça qu’il faut qu’on arrive à signer une convention. Il faut avoir une adresse. Si t’as pas d’adresse, même si tu as tous les arguments, tu peux pas déposer un dossier de régularisation. »

La trajectoire de Selim, entre attente et désillusion

Selim balade sa silhouette élancée dans le rez-de-chaussée du bâtiment, avant de larguer les amarres sur une chaise un peu isolée du groupe. Il tapote inlassablement avec son stylo sur le coin d’une table, un peu nerveux, mais souriant et d’une apparente légèreté. Sur son passé, Selim reste volontairement évasif. La seule chose qu’il confie : « Moi quand je suis arrivé en Belgique, t’étais pas encore née, je te jure, j’en suis sûr ». Il est arrivé dans le collectif en 2021, par hasard « Je suis passé devant, j’ai vu une banderole ‘lutte pour la régularisation’. J’ai été voir, et voilà, ça a commencé comme ça ».

Selim est lui aussi un migrant économique et souffre des difficultés qui y sont liées. « J’ai fait une procédure, mais ça a échoué. Mon dossier, ils l’ont laissé trainer, trainer, trainer… Je suis parti sur un recours, ça a duré deux ans et ça n’a pas abouti non plus. Je veux faire une nouvelle tentative, mais l’avocat m’a demandé une somme d’argent que j’ai pas. »

Au fur et à mesure de ses confidences, son air joyeux se voile. « Franchement l’avenir, pour moi c’est sombre… C’est vraiment flou et je vais pas te mentir, j’ai perdu espoir. À la base mon objectif en venant ici c’était avoir les papiers. Je me disais, peut-être c’est plus facile de passer par un groupe, on va plus m’écouter. Mais j’ai compris que non… »

Comme une très grande majorité des membres du collectif Zone neutre, Selim travaille. Il est livreur. Pourtant, l’accès au logement reste un éden impossible pour lui. « Un loyer, il faut l’assumer. Avant, tu trouvais un studio à Bruxelles pour 380 euros… Maintenant quand je regarde pour louer, dès que je vois les prix, je pars en courant. Ça m’énerve, ça me stresse, je te jure. »

Il se lève et continue sa déambulation dans ce lieu où s’entremêlent les difficultés liées à la régularisation et au logement. Un lieu dont les habitant·es vivent dans l’inconnu. Obtiendront-ils la signature d’une convention ? Cela serait comme une trêve dans leur combat en zone neutre.

* nom d’emprunt

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Aboyer en liberté

Mon, 10/02/2025 - 15:32
A Sorinnes, près de Dinant, le refuge « Sans Famille » accueille des animaux abandonnés depuis 36 ans. La particularité du domaine ? Les animaux y sont en semi-liberté.

Photo : Issey Résimont

Dès l’arrivée, nous sommes accueillis par Bella, Kito et Luna. Ces chiens, qui appartiennent aux propriétaires du refuge, viennent joyeusement nous renifler, réclamant quelques caresses et distribuant des petites léchouilles en guise de bienvenue. C’est au milieu des champs de Sorinnes, que se trouve le refuge “Sans famille”, un espace de six hectares, semblable à une véritable ferme. Fondé il y a 36 ans par Frédérique et Jean-Pierre, ce refuge accueille aujourd’hui une grande diversité d’animaux qui ont été abandonnés, trouvés ou retirés à leurs propriétaires suite à de mauvais traitements. Actuellement, il y a 50 chiens, 60 chats, 18 moutons, 4 vaches, 18 équidés, 26 chèvres, 15 cochons et 200 poules. En moyenne, le refuge doit faire face à trois ou quatre abandons chaque mois, un chiffre qui évolue constamment.

La particularité et la plus grande force de “Sans famille” est son fonctionnement en semi-liberté qui le distingue des autres structures. Ici, les animaux ne vivent pas derrière des barreaux mais dans de vastes enclos. Les chiens, par exemple, vivent en meute où ils peuvent interagir et se déplacer librement. Les plus difficiles à gérer sont séparés pour garantir leur sécurité et celle des autres. Les nouveaux arrivants, quant à eux, passent par une période d’adaptation durant laquelle ils sont isolés temporairement afin de faciliter leur intégration dans la meute. Dans le cas d’une adoption infructueuse, cette organisation diminue le stress du chien qui, s’il revient au refuge, retourne dans la meute et ne passe pas par la case “retour cage”.

Si le refuge existe, c’est grâce au couple de fondateurs, qui y habitent et le gèrent avec dévouement. Ils puisent dans leurs pensions et leurs économies pour maintenir le domaine, ce qui est complété par quelques petits dons. Mais “Sans famille”, c’est aussi des bénévoles qui viennent prêter main forte. Parmi eux, Ismérie et Maxime, deux passionnés, qui passent la majeure partie de leur temps ici. “On aime que ça, c’est notre vie ici”, expliquent-ils. Avec des animaux en semi-liberté, les liens tissés sont plus forts que dans des refuges classiques avec des cages. « On fait partie de la meute », ajoutent-ils. Outre Ismérie et Maxime, d’autres bénévoles viennent régulièrement pour promener les chiens, s’occuper des chats ou encore entretenir les lieux.

A 13h, c’est l’heure du dîner. Le personnel se réunit pour manger et échanger sur sa journée au sein de la meute. C’est dans ce hangar, ouvert vers l’extérieur, que vivent les chiens. Les animaux placés

Au refuge, un nombre significatif d’animaux proviennent de saisies. Ces saisies sont coordonnées par l’unité du Bien-Être Animal qui intervient lorsque des animaux sont maltraités, négligés et que leurs conditions de vie sont jugées inacceptables. L’unité qui fait partie du département de la police et des contrôles, compte 18 agents, dont une majorité de vétérinaires. Ils traitent les plaintes qui arrivent en masse et procèdent aux saisies pour protéger les animaux. En 2023, 1.379 animaux ont été saisis en Egion wallonne. Le bilan final de 2024 sera sans doute plus élevé encore: alors qu’entre janvier et juin 2023, on dénombrait 676 saisies, le chiffre est passé à 1.280 sur la même période en 2024. Lors de la saisie, les animaux sont physiquement retirés de leur environnement et placés dans des refuges sûrs. Chaque saisie est d’abord temporaire et dure maximum 60 jours. Durant ce délai, les propriétaires peuvent préparer leur défense. Ensuite, les agents font une proposition, pour décider de qui sera le propriétaire définitif. La décision finale revient au ministre compétent dans le bien-être animal, qui n’est autre, dans le gouvernement wallon actuel, que le ministre-président Adrien Dolimont. Dans la plupart des cas, l’animal reste au refuge. Une aide financière publique est allouée afin d’aider le refuge dans sa prise en charge. Dans 6% des cas, l’animal est rendu à son propriétaire si celui-ci respecte les nouvelles conditions.

Les chiens “inadoptables”

À “Sans famille”, de nombreux chiens sont en situation dite “inadoptable”. La raison ? Certains sont âgés, souvent jugés “trop vieux” par les adoptants potentiels et d’autres ont été maltraités et sont donc méfiants voire agressifs envers les humains. Pour les faire évoluer, le refuge fait appel à Gaëlle, une comportementaliste spécialisée qui vient travailler régulièrement avec eux. Selon elle, il n’y a pas une méthode miracle qui marche avec tous les chiens. Chaque animal est différent et donc le travail à faire n’est jamais le même. Il faut avant tout observer le comportement du chien pour savoir comment l’aborder. Puis petit à petit, essayer de gagner sa confiance, son respect et par la suite créer un lien. D’autres chiens ont du mal à trouver une famille en raison de leurs lourds besoins médicaux, qui exigent un engagement important de la part des adoptants. Parmi eux, se trouve Roxana, une malinoise de 4 ans rapatriée de Bulgarie. Elle est passée de famille d’accueil en famille d’accueil avant d’être finalement retrouvée abandonnée, paralysée des pattes arrières, dans un abri de jardin. Aujourd’hui, Roxanna reçoit les soins et l’attention de deux marraines, Barbara et Annie, qui viennent la sortir tous les deux jours en l’accompagnant dans son chariot. Le refuge est cependant conscient que ses chances d’adoption sont malheureusement faibles.

Comme c’est un exercice très éprouvant pour la chienne, la balade ne peut durer que 10 à 12 minutes.

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Famille d’accueil: un bénévolat pas comme les autres

Mon, 10/02/2025 - 15:19
Rencontre avec Xavier Verstappen, directeur de l’ASBL L’accueil familial 

© Alexandre Demacq

Décider de devenir famille d’accueil, ça change la vie. Celle des familles, évidemment, mais aussi celle de l’enfant qui sera accueilli pour qu’il puisse recevoir l’amour que chaque enfant mérite. Nous en avons parlé avec Xavier Verstappen, directeur de l’ASBL « L’accueil familial » qui regroupe un ensemble de projets avec des familles d’accueil au sein de la Communauté française. 

Xavier Verstappen, directeur de l’asbl L’accueil familial

Mammouth: Quelles sont les modalités de l’accueil par une famille en Fédération Wallonie-Bruxelles aujourd’hui ? 

Xavier Verstappen: Il y a trois catégories. Pour l’accueil d’urgence, la règle c’est : quinze jours renouvelables deux fois au maximum, donc 45 jours. Le court terme, ce sont des accueils de trois mois renouvelables deux fois également. Enfin, le moyen long terme où les enfants grandissent dans leur famille d’accueil qui devient un peu leur seconde famille.  

Peut-on comparer une adoption et un accueil long terme ? 

La grande différence, c’est qu’être famille d’accueil, c’est permettre aux enfants de vivre une double appartenance, c’est-à-dire garder un lien avec leurs parents et à la fois vivre en famille d’accueil.  Nous travaillons avec chaque enfant et ses parents au maintien du lien et au développement du « juste lien ». Parfois ça signifie l’absence de lien, parfois des rencontres familiales ponctuelles que l’on peut organiser dans nos salles de rencontre.   

Vous manquez de familles d’accueil… 

C’est toujours le problème. Le nombre de familles d’accueil sélectionnées, dans le cas où il n’y a pas de liens de sang, n’a cessé d’augmenter. Pourtant, le manque est cruel, à Bruxelles, il y a plus de 70 enfants qui sont en attente, et sur l’ensemble de la Communauté française, on est autour de 300 enfants qui attendent un accueil long terme. On parle souvent de 600 enfants en attente d’une famille d’accueil, c’est parce qu’on a aussi des demandes d’urgence et de court terme.  

Au niveau du profil des parents qui viennent se présenter de manière volontaire, qu’est ce qui revient généralement ? 

C’est quand même une valeur sans doute très occidentale et socio-économiquement moyenne ou forte que de se dire que je vais être solidaire d’un enfant qui n’est pas le mien. Cela dit, on cherche, pour l’instant, à Bruxelles, à pouvoir s’ouvrir à d’autres cultures de manière plus concrète et plus importante. Homme, femme,  marié ou pas, avec ou sans enfant, homo ou hétéro, toutes les configurations reconnues par l’adoption sont aussi valables pour l’accueil évidemment. 

L’équipe de l’asbl L’accueil familial

Comment gérer ce bénévolat 24 heures sur 24, sept jours sur sept ? 

Ça change une vie. C’est comme quand on décide de partir en Amérique, ça change une vie aussi. Ça transforme l’organisation familiale. D’ailleurs, quand il y a des enfants, ils sont inclus dans le processus de réflexion autour du projet. 

Combien de temps dure ce processus ? 

Ce processus dure minimum six mois pour le moyen-long terme. Pour le court terme et l’urgence, c’est un peu plus court. Ce qui est vraiment important, c’est de se dire que l’accueil d’un enfant, ce n’est pas du shopping où on met n’importe quel enfant dans n’importe quelle famille. Il faut parfois attendre quelques semaines ou quelques mois, malgré la longue liste d’attente d’enfant, pour trouver le bon profil d’enfant qui va bien correspondre à la famille qui est disponible. 

On a parlé des enfants et des familles. Quel suivi est-ce que vous, en tant qu’ASBL, vous proposez à ces familles ? 

On n’est pas présent au quotidien, ça, c’est vraiment quelque chose qu’il faut comprendre. Nous sommes, comme intervenant social, toujours pris entre des intérêts très différents. Celui des parents, celui de la famille d’accueil et l’intérêt de l’enfant qui est au milieu. Un parent d’accueil ne devient pas le parent de naissance. C’est parfois difficile à comprendre, mais pour le bien de l’enfant, chacun doit rester à se place et faire son rôle pas plus, pas moins.

Est-ce que cela coûte, d’être famille d’accueil ?

C’est surtout un coût en termes de temps. Le coût financier est réel pour la famille d’accueil, mais n’est pas un obstacle grâce au soutien de la Communauté française (14 à 15 euros par jour). Cependant, quand on a organisé sa vie, sa tarte de temps comme je le dis toujours, avec nos différentes occupations, tout est bien rempli et on n’a pas envie de toucher à grand-chose. Devenir famille d’accueil, c’est toucher à ça.

Comment gérer la fin d’un accueil d’urgence? 

Il nous faut des personnes quand même assez fortes, assez disponibles et qui sont au claires sur leurs motivations. Si tout ça est acquis, alors on va pouvoir, à la fin de l’accueil, confier à d’autres l’enfant pour qui on a pris soin pendant un temps. Si l’enfant n’est pas trop abimé par ce qu’il a vécu avec ses parents, l’enfant va ressentir ça et va pouvoir vivre cette transition le mieux possible. Mais, bien sûr, on n’est pas tous faits pour faire n’importe quel type d’accueil.

Est-il possible de revoir un enfant qu’on a accueilli après son départ ? 

Oui, mais à condition que ce soit fait progressivement et au bon moment. Il ne faut pas être dans une concurrence au moment du passage d’une famille d’accueil d’urgence à une famille d’accueil de long terme. Mais sinon, pouvoir, en tant que famille long terme, aider l’enfant à comprendre et à intégrer son histoire avec toutes les ruptures, mais aussi avec toutes les bonnes personnes qu’il a pu rencontrer, c’est une bonne chose.  

Mais ce n’est pas une garantie … 

Ça se met parfois, et c’est bien. Parfois, ça se met mal et c’est compliqué, mais c’est comme ça. Dans l’intérêt de l’enfant, il faut toujours donner priorité au projet long terme. 

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Le béguinage, précurseur du féminisme

Thu, 06/02/2025 - 10:25
J’ai parlé à Muriel, Marianne et Sophie, octogénaires et béguines libres

Photos : Azad Yagirian

Né au Moyen Age, le béguinage accueille des femmes, sans soutien social, qui refusent les contraintes du mariage et des ordres religieux pour vivre leur foi en toute liberté. Aujourd’hui, ce modèle inspire encore. C’est dans l’un de ces lieux que je rencontre Muriel, Marianne et Sophie qui, chacune à leur manière, ont décidé de poursuivre cette tradition.

Au cœur de Saint-Josse-Ten-Noode, à Bruxelles,, au 79, rue Potagère, se dresse un bâtiment blanc parmi tant d’autres, dont l’apparence ne révèle pas la véritable nature. Il s’agit du couvent de Béthel (littéralement “Maison de Dieu” en hébreu). Celui-ci s’organise sur trois étages avec des appartements occupés par des résidents, béguines ou autres, croyants ou non, à la recherche d’un endroit où loger. Il est midi. Quand la porte d’entrée, s’élevant sur plusieurs mètres de haut, s’ouvre brusquement, j’aperçois une dame au visage ridé, arborant un carré classique : Muriel De Beco, une béguine de 80 ans.

Autrefois mariée, elle choisit un beau jour de rejoindre la communauté religieuse des sœurs dominicaines. Les sœurs dominicaines, membres de l’Ordre des Prêcheurs, fondé par saint Dominique au 13e siècle, font partie des religieuses actives qui allient vie contemplative et apostolique. “J’étais appelée à entretenir une relation personnelle et unique avec le Seigneur sans intermédiaire, mais cela ne me convenait pas.” Très vite, elle décide de s’en défaire pour suivre un chemin davantage en accord avec ses aspirations spirituelles. Elle devient donc béguine.

Ces femmes ne voulaient pas non plus dépendre d’un mari. Elles souhaitaient rester libres entre elles et solitaires, contrairement à la structure hiérarchique d’un monastère

L’existence des béguinages remonte au 13e siècle, principalement dans les régions du Nord de la France, des Pays- Bas et de Belgique. Ils offrent un refuge pour des femmes qui cherchent à échapper à la fois à l’autorité patriarcale et aux pressions des institutions religieuses, en leur permettant de mener une vie spirituelle autonome, à l’écart des normes traditionnelles. En rejoignant ces communautés, elles bénéficient d’un statut souple, sans être tenues par des vœux définitifs de pauvreté, de chasteté ou encore d’obéissance, à la différence des religieuses qui étaient soumises à une hiérarchie ecclésiastique plus stricte. Malgré les siècles passés, l’esprit du béguinage perdure dans des sites religieux qui transmettent ses valeurs ancestrales, notamment en Allemagne, en Belgique, en France et en Autriche.

Muriel s’adonne à plusieurs activités, guidées par des « discernements » : des appels de Dieu survenant à des périodes spécifiques de son existence. Malgré ses craintes, elle trouve le courage de les accueillir. “Au final, confrontée à l’épreuve, je me suis sentie très heureuse. Ces femmes ne voulaient pas non plus dépendre d’un mari. Elles souhaitaient rester libres entre elles et solitaires, contrairement à la structure hiérarchique d’un monastère, par exemple.” Elle ferme la porte derrière moi et me sourit. “Il était clair pour les dominicaines de ce couvent que je n’étais pas en phase avec cette spiritualité telle qu’elles l’avaient conçue. Et elles l’ont accepté sans difficulté. Je suis une béguine libre. D’ailleurs, jeune homme, la béguine incarne une figure avant-gardiste du féminisme.

Marianne Goffoël, 82 ans, sœur dominicaine et l’une des fondatrices des lieux, se dirige vers le buffet de sa salle à manger, à côté duquel repose un seau rempli d’eau sale. “Habituellement, je me lève à six heures et demie. J’aime faire mon ménage en parcourant l’application Prie en Chemin. Je suis multitâche.” Elle désigne du doigt une dizaine de livres entassés sur une table ronde. Elle se penche et ajuste ses lunettes. Marianne me tend un ouvrage intitulé Démence et résilience : mobiliser la dimension spirituelle de Thierry Collaud et l’ouvre à l’endroit du marque-page. Elle se met à froncer les sourcils au fur et à mesure qu’elle avance dans sa lecture. “Vous savez, la force de l’indépendance, même face à la maladie, reste essentielle.”

Au final, je mène ma vie comme je l’entends. Ici, c’est le paradis.

Sophie Vaes est une croyante âgée de 78 ans. Assise les pieds repliés sous cette chaise qui grince, elle tient entre ses mains un livre recouvert de poussière, qu’elle s’apprête à nettoyer. “Le hasard m’a conduite jusqu’au couvent de Béthel. À la base, je ne cherchais qu’un logement, à un prix raisonnable.” Soudain, ses yeux d’un bleu clair, presque translucides, me fixent. “Je suis ressortie blessée d’une association où des réunions obligatoires étaient prévues. On devait assister à ceci, à cela. Or, je n’en voyais absolument pas l’intérêt.” Vêtue d’un plaid, elle s’approche d’une commode en bois verni et y ajuste les accessoires avec soin. “En tant que chrétienne, ici, j’ai la possibilité de participer aux offices religieux. Ce n’est ni trop long, ni trop court… À vrai dire, c’est comme vous le sentez. Je n’ai jamais eu le sentiment d’une obligation. C’est une invitation”, dit-elle.

Sophie détourne son regard vers le sol pendant un instant. Outre la liberté dont elle jouit, la vie en communauté n’est pas toujours facile. “Il faut avoir guéri de ses propres blessures. Plus je me connais, plus j’acquiers une forme de patience qui m’offre du recul sur un événement qui me touche.” Elle enchaîne, d’un ton assuré. “Ce que j’aime prier avec les autres. Le fait de se poser, environ vingt minutes, dans l’agitation d’une journée, je trouve cela important. Au final, je mène ma vie comme je l’entends. Ici, c’est le paradis.”

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Les interdits de stade en Belgique

Tue, 04/02/2025 - 14:45
Que faire face à la violence dans les stades de football

La violence reste bien présente dans les stades de football en Belgique. Fumigènes, bagarres ou règlements de compte sont monnaie courante. Qu’est-ce qui pousse les supporters à accomplir de tels actes ? Quelle est l’origine de cette violence ? Qu’est-ce qui est mis en place par les stades pour faire face à ce genre d’incidents ? Et qui sont les interdits de stades ?

Pour lire notre long format, cliquez sur ce lien

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Akro : “On a toujours été vus comme des bouffons”

Mon, 03/02/2025 - 13:46
À l’occasion de la sortie du documentaire Timeline, Mammouth est allé à la rencontre de Thomas Duprel, alias Akro, figure de proue du rap belge et responsable éditorial chez Tarmac.

Dans cette interview, Akro nous plonge au cœur de Timeline, un documentaire en 8 épisodes sorti en octobre, qui retrace l’histoire du rap belge et son évolution. Son objectif est d’éveiller la curiosité des jeunes générations tout en rendant hommage aux pionniers qui ont façonné cette scène musicale. Il nous offre également un éclairage personnel sur l’état actuel de cette scène, marquée par de nouvelles dynamiques et des talents émergents

Est ce que vous avez déjà reçu des retours sur la démarche derrière Timeline ?

Timeline est avant tout un devoir de mémoire, non seulement pour les jeunes mais aussi pour toutes les générations ayant contribué à l’histoire du rap belge. Beaucoup ont perdu leurs archives ou ne sont plus actifs, mais ils ont compté. Le but était de dresser une ligne du temps avec des événements marquants, des sorties d’albums, des personnalités et des groupes. Nous n’avons pas pu inclure tout le monde, ce qui est frustrant, mais nous avons créé une structure solide, une « colonne vertébrale » du rap belge. Aujourd’hui, la nouvelle génération porte ce rap avec une autre identité, mais il est crucial de rappeler ceux qui ont ouvert la voie, comme Benny B, Technotronic ou Puta Madre. C’était quelque chose de fondamental pour moi.

Avez-vous observé des réactions particulières de la part des jeunes générations suite à la diffusion de Timeline ? Par exemple, certains ont exprimé l’idée que la génération 2016-2024 a produit davantage de projets et de réussites que les générations précédentes. Qu’en pensez-vous ?

Effectivement, au début, le rap belge était peu structuré, mais il a fallu attendre des artistes comme Stromae qui ont fait rayonner à nouveau la Belgique à l’international, attirant d’autres talents comme Roméo Elvis ou Damso. Cette génération pense parfois qu’elle a tous les codes grâce à des outils modernes, oubliant les disques d’or et les succès passés. Mais bien sûr, ça ne veut absolument pas dire que je dénigre la génération actuelle.

Pourquoi, selon vous, si peu de documentaires traitant du rap belge, comparé à des pays comme la France, l’Angleterre ou les États-Unis ?

Il y a peut-être un manque d’attrait du marché français pour le marché belge. En effet, le marché français, en termes de signatures, s’est réveillé en 2013 avec Stromae, mais avant ça, on a toujours été snobés, toujours vus comme des bouffons ou des gens qui doivent faire rire. Je pense donc que la démarche, pour les Français, de faire un documentaire sur les Belges n’a pas été entreprise parce qu’ils n’ont pas non plus les clés de compréhension de certains groupes. C’est, je pense, une forme de méconnaissance.

Je me souviens d’un média français qui m’a proposé de reprendre l’idée de Timeline mais de l’adapter en version française sans même l’avoir encore diffusée chez nous. Mais il est hors de question de céder ce projet qui raconte notre histoire. Je suis convaincu que le documentaire aura ses chances en France ou ailleurs ; la musique est universelle, et on voit bien l’impact international d’artistes belges comme Stromae, Technotronic, Damso, Caballero ou JeanJass.

Le genre du rap a-t-il changé de statut dans les médias au fil des ans ?

Absolument. En huit ans, le rap est devenu un genre accepté. C’est-à-dire qu’en 8 ans, des sujets autour de Damso, qui pouvaient faire polémique au JT s’il faisait quelque chose de vulgaire ou lorsque les Diables Rouges refusaient son hymne, aujourd’hui, quand Damso fait une sortie, il a un article dans le journal sur sa musique et sur lui. Donc oui, les barrières sont tombées, il y a une acceptation de différents styles de rap.

Cependant, certains styles de rap, notamment ceux qui abordent des thèmes violents ou controversés, peinent encore à être acceptés, ce qui n’est pas forcément négatif, car tout n’est pas à mettre entre toutes les oreilles non plus. Mais dans l’ensemble, il y a eu une grande évolution. Le rap belge est aujourd’hui mieux perçu, et je pense que cette évolution est essentielle.

Selon vous, quelle est la situation actuelle du rap belge ?

Les nouveaux se cherchent encore, et ce n’est pas évident. Je vois bien qu’ils débarquent dans un univers saturé de sorties. Aujourd’hui, il faut être ultra original, avec le bon son et les bons codes narratifs dans ta communication et tes réseaux sociaux, sinon tu risques de disparaître parmi tant d’autres. Les jeunes artistes doivent d’abord se concentrer sur des stratégies de single et espérer qu’un morceau ‘pète’ pour gagner en visibilité, obtenir de l’airplay ou des concerts.

Mais ce qui reste essentiel, comme cela l’a toujours été, c’est l’originalité. Il y a beaucoup de “copycats”. Maintenant, on entend souvent dire : “Je vais te faire une punchline ou une mélodie à la…” Et au final, qui es-tu derrière ça, en fait ? Donc, il y a des talents en couveuse, mais ils n’ont pas encore le niveau des Shay, Damso, Caballero…

Vous parlez d’originalité. Pensez-vous qu’il n’y a pas ce côté où “trop d’originalité tue l’originalité” ?

Pour moi, ce sont surtout des “gimmicks” : de petites tendances, une touche technique ou musicale particulière que tout le monde adopte pendant six mois avant de passer à autre chose. Ce genre d’évolutions fait vivre le rap et la musique.
Par exemple, Mac Tyer a apporté son côté ‘lime’, et chacun ajoute ainsi une petite nouveauté. Aujourd’hui, on voit cette ‘new wave’, un style très lent, inspiré du rock et des années 80, qui montre que le rap se cherche une nouvelle identité. C’est comme un laboratoire, en test dans des éprouvettes. À un moment, une éprouvette va exploser, deviendra un vrai style, perdurera longtemps, et bouleversera les choses. Mais pour l’instant, je pense qu’on est en ébullition. On est tous un peu en attente de ce truc-là.

Pour vous, cette phase de mutation est-elle un bon signe ?

La musique est toujours en mouvement, dans un flux de vibrations. Pour qu’il y ait des hauts, il doit y avoir des bas. La musique, comme les saisons, a besoin d’un hiver pour pouvoir renaître au printemps. Et on est en plein dans cette phase-là

Enfin, avez-vous une nouvelle pépite belge à suivre ?

Oui, récemment, j’ai découvert Prince Neo. Il fait du R&B, et ses productions sont hyper léchées. Il a du potentiel, et je pense qu’il ira loin.

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Pompière et fière de l’être

Tue, 28/01/2025 - 14:43
Première femme dans une caserne hennuyère, Aline prouve chaque jour qu’elle a sa place parmi les pompiers.

© Noah Poltloot

Aline bouscule les clichés et prouve chaque jour qu’elle a sa place dans un métier historiquement dominé par les hommes, les pompiers. Elle est la première femme à intégrer une caserne dans la zone Hainaut-Centre. Entre interventions à risque et adaptation des mentalités, elle inspire ses collègues et les futures générations.

À 7 h du matin, Aline entame son service comme ses collègues : inventaire du matériel, rassemblement et préparation aux interventions. Pendant sa garde de 24 heures, tout peut arriver. Mais dans ce monde encore très masculin, elle se distingue non pas par son genre, mais par son professionnalisme.

« Au début, certains patients doutent de mes capacités, mais une fois qu’ils voient qu’on maîtrise le matériel et les gestes, tout se passe bien », confie-t-elle.

Aujourd’hui, elles ne sont que 5 femmes pour 360 pompiers dans la zone Hainaut-Centre, mais Aline ouvre la voie avec détermination. « La vie est trop courte pour se mettre des barrières. Si j’ai envie de faire un truc, je le fais ».

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Snus en stock

Mon, 27/01/2025 - 16:34
Une enquête sur le snus en Belgique

Avez-vous entendu parler du snus, ces petits pochons de nicotine à glisser sous la lèvre populaires auprès des jeunes ? Ce produit scandinave est en train de conquérir l’Europe, mais est interdit en Belgique. Pour s’en procurer, les Belges doivent se tourner vers le marché illégal ou bien passer la frontière du Luxembourg.

Nous avons enquêté en caméra cachée sur ce marché noir dans les rues de Bruxelles. Nous nous sommes également rendu au Luxembourg où la vente de snus est autorisée. Enfin, nous avons interrogé Romina Loria, une experte de la prévention anti-tabac, sur les risques que comportent la consommation de snus.

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Micro-brasseries bruxelloises : le pouvoir de l’étiquette

Fri, 24/01/2025 - 15:12
Dans un marché de la bière qui est de plus en plus saturé, se faire une place est parfois difficile. Heureusement, les brasseurs peuvent toujours compter sur leurs étiquettes atypiques.

Brasserie-fermenterie L’Annexe

En 2023, 417 micro-brasseries étaient présentes sur le territoire belge, avec pas moins de 1600 marques de bières différentes. Mais dans cette explosion de marché, comment se créer une place ? On a rencontré un illustrateur d’étiquette de bière mais aussi différents brasseurs pour y répondre.

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Connaissez-vous les raiglograms ?

Fri, 24/01/2025 - 15:06
Dans son atelier, Paula Raiglot travaille ses portraits, mais aussi ses « raiglograms », dispersés dans les rues de Bruxelles.

Paula Raiglot – Raiglograms

Les raiglograms, un projet venu dans l’esprit de Paula Raiglot, artiste bruxelloise, avec une vocation : s’interroger sur le monde qui nous entoure. Six raiglograms se retrouvent d’ailleurs dans les rues de Bruxelles. On l’a rencontré dans son atelier au Sablon.

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Le dilemme des jeunes créateurs de mode

Tue, 21/01/2025 - 16:23
Faire le choix partir à Paris ou rester à Bruxelles

De nombreuses écoles à Bruxelles forment de nouveaux créateurs de mode, mais beaucoup d’entre eux partent à Paris. Pourquoi ? Dans ce podcast nous allons explorer les choix des jeunes créateurs belges : ceux qui cherchent de nouvelles opportunités à Paris et ceux qui décident de rester à Bruxelles pour développer leurs carrières. Qu’est ce qui motive leurs décisions ?

Éléments de réponses avec Théo, Anna et Dieter.

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Diplômes ukrainiens, pas d’emploi en Belgique ?

Tue, 21/01/2025 - 14:38
Malgré les déclarations européennes, la reconnaissance des qualifications ukrainiennes se heurte à la complexité belge

Dorine Busoro

Pour la deuxième fois, la Commission européenne a demandé aux États membres de renouveler leur engagement d’accès à l’emploi et de reconnaissance des qualifications des réfugiés ukrainiens. En Belgique, cette proposition se perd dans les méandres institutionnels.  

Maria a 42 ans, même si elle en fait dix fois moins. Assise dans la petite cafétéria du centre Ukrainian Voices Refugee Committee, elle boit son bortsch (une soupe traditionnelle aux betteraves) avec son amie Titianna. Elle est arrivée au début de la guerre, en mars 2022, avec sa fille. Au même moment, l’Union européenne décidait que les Ukrainiens déplacés en son sein pouvaient bénéficier de la « protection temporaire ». Ce statut vise à diminuer la pression pesant sur les régimes d’asile nationaux, tout en facilitant l’accès des personnes déplacées au marché du travail. Le travail justement, Maria en cherche. En Août dernier, elle a introduit sa demande d’équivalence de son master en journalisme obtenu à l’université de Zaporijia. A tort ou à raison, elle en parle sans trop d’espoir.

Une double barrière

Dès le mois d’avril 2022, la reconnaissance des qualifications des réfugiés ukrainiens s’est hissée parmi les enjeux politiques européens, sous la forme d’une recommandations émise par la Commission. Rappelant que les ressortissants de pays extra-européens sont souvent obligés « d’accepter des emplois en dessous de leur niveau de qualification », la Commission invitait les États membres à mettre en place un système « simple et rapide » de reconnaissance des qualifications pour faciliter l’emploi des Ukrainiens. Adoptée en 2023, cette recommandation est censée être mise en œuvre par les États. Lors du renouvellement de ces lignes directrices en 2024, le Parlement européen, malgré son statut purement consultatif dans ce domaine, a voté à 61 % pour maintenir cette forme de solidarité avec les Ukrainiens.

L’expression « reconnaissance de qualifications » par la Commission est volontairement étendue. Elle inclut diverses formes de compétences, de formations et de diplômes. Un tel champ d’application est nécessaire: en Belgique, être à la fois étranger (hors UE) et sans diplôme, c’est en effet avoir deux gros bâtons dans les roues pour accéder au marché de l’emploi. En octobre 2024 à Bruxelles, 43 % des demandeurs d’emploi inoccupés (DEI) qu’enregistrait Actiris étaient des étrangers sans équivalence de diplôme ou de qualification. Pour s’attaquer à cette double barrière à l’emploi, Actiris a mis en place, avec l’asbl CIRÉ, un plan d’aide pour accompagner toutes les personnes qui voudraient faire reconnaître leur diplôme ici en Belgique. « On aide les gens à naviguer dans le système », explique Olivier Beernaert, coordinateur du service travail, équivalences et formations au CIRÉ. En juillet 2024, 5.199 Ukrainiens étaient inscrits chez Actiris. A peine 30 % d’entre eux ont trouvé du travail. 

Complexité à la belge 

L’espoir de trouver un emploi est faible, donc… et les couches institutionnelles de notre pays n’arrangent rien. Le système des équivalences de diplôme est une compétence communautaire, car elle touche à l’enseignement, tandis que l’emploi est une compétence régionale. Or, pour le CIRÉ, si on veut faciliter l’accès à l’emploi, il faut en même temps faciliter l’obtention de l’équivalence. 

Entre le Nord et le Sud du pays, l’application uniforme des critères d’équivalence n’est pas non plus toujours évidente, comme par exemple pour le métier d’infirmier. La profession étant réglementée, le diplôme étranger (hors UE) sera analysé à la loupe, à la lumière des critères académiques belges. L’un des principaux obstacles à cette équivalence est le nombre d’heures de stage : en Fédération Wallonie-Bruxelles, lorsque les heures de stage prestées dans le pays d’origine sont inférieures à celles exigées en Belgique, cela peut bloquer l’obtention de l’équivalence. « Quand on a une personne qui a fait ses études et qui après a bossé pendant 10 ans en tant qu’infirmière, qu’on vienne lui dire qu’il lui manque 300 heures de stage, ce n’est pas logique », déplore Olivier Beernaert. En revanche, en Flandre, l’expérience professionnelle est acceptée comme équivalente à des heures de stage. 

 Quand on a une personne qui a fait ses études et qui après a bossé pendant 10 ans en tant qu’infirmière, qu’on vienne lui dire qu’il lui manque 300 heures de stage, ce n’est pas logique

De plus, le système ne prend pas suffisamment en compte la fracture numérique présente chez les demandeurs d’équivalence. Toute la procédure se fait en ligne. Certains candidats à l’emploi ne possèdent pas d’ordinateur, tandis que d’autres craignent, par exemple, d’avoir mal scanné un document. S’ajoute à cela la compréhension des termes et des distinctions (CESS/baccalauréat, bachelier/licence, etc.) qui diffèrent selon les pays. Même ceux qui sont autonomes dans leurs démarches, doivent revenir plusieurs fois au CIRÉ pour s’assurer que tout est en ordre. À défaut d’un accès direct au service public, l’accompagnement devient la responsabilité des associations. 

Privilège ukrainien ?

C’est en Flandre, que Maria a fait sa demande d’équivalence en journalisme. Pourtant, elle rit quand nous lui demandons si elle rêve encore de travailler dans une rédaction. « Un jour, peut-être ». Elle l’a fait sans réelle conviction, pensant que ce diplôme lui servirait peut-être. « Il y a eu un moment, en 2022, où il y avait une personne dédiée aux dossiers ukrainiens. Mais aujourd’hui, on a décidé de mettre le public ukrainien parmi le reste du public », explique le CIRÉ. Chez BON cependant, un centre d’intégration flamand, une personne est toujours dédiée aux équivalences spécifiquement ukrainiennes. En Europe, la procédure est gratuite pour tous ceux qui ont le statut de réfugiés. 

Depuis 2023, l’Ukraine a rejoint le large réseau européen ENIC-NARIC, visant le partage d’information et la facilitation de la reconnaissance mutuelle de diplômes. L’ouverture d’un centre ENIC ukrainien a facilité le processus d’évaluation des diplômes en provenance d’Ukraine, à la différence de certains autres pays hors UE pour lesquels il est plus complexe de trouver des infos ou des relais, nous explique Céline Nicodème par mail, membre du service international de l’enseignement supérieur de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Elle précise cependant qu’ « une procédure d’équivalence reste une procédure d’équivalence. En principe, elle ne fait pas d’exception en fonction de la nationalité du demandeur, comme stipulé dans la Convention de Lisbonne. » Cette convention signée en 1997 indique que toute demande de reconnaissance de qualifications prend exclusivement en compte les connaissances et aptitudes acquises. 

« Aujourd’hui, ce n’est pas une carrière ou de l’argent que je recherche. Je veux juste trouver un endroit où je me sentirais à l’aise et où je peux évoluer et non régresser », soupire Maria avant de quitter le centre des réfugiés. Ce souhait, l’Union européenne le partage. Pour qu’il se réalise pleinement en Belgique, le pays doit d’abord gérer ses méandres institutionnels.

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